La réforme promise par le chef de l'Etat français va intervenir dans le cadre d'une nouvelle législation sur le renseignement et la sécurité intérieure, un texte qualifié de liberticide par les historiens et les archivistes français. La question de la déclassification des archives, dont celles de la guerre d'Algérie, ne semble pas totalement tranchée en France. En dépit des assurances du président Emmanuel Macron, le 9 mars dernier, l'accès aux documents classés secret défense, dont ceux de la guerre d'Algérie, risque de connaître de nouvelles entraves. En cause, un projet de loi très polémique sur le renseignement et la sécurité intérieure adopté par le parlement le 15 avril et examiné actuellement par le Conseil d'Etat. Cette législation qui conforte les pouvoirs des forces de l'ordre pourrait aussi, pour des raisons de sécurité, verrouiller la consultation des archives. C'est en tout cas l'avis des historiens et des archivistes français qui viennent de remporter une première bataille en contraignant le gouvernement à retirer un article (14) en vertu duquel certaines catégories d'articles ne seraient pas du tout communicables. Dans une tribune publiée le 18 avril, Raphaëlle Branche, présidente de l'Association des historiens contemporanéistes de l'enseignement supérieur et de la recherche (ANCESR), Céline Guyon, présidente de l'Association des archivistes français (AAF), et Pierre Mansat, président de l'Association Josette et Maurice-Audin (AJMA), ont alerté contre les restrictions contenues dans le fameux article 14. Celui-ci stipulait que la communication des documents relatifs "à la conception et à l'utilisation des matériels de guerre" ou à "la dissuasion nucléaire" ne serait possible que 50 ans après "la fin de leur utilisation", ou "à la perte de leur valeur opérationnelle ou technologique". "Ils veulent créer de nouvelles catégories d'archives, entièrement à discrétion de l'administration qui déciderait si elles sont communicables ou pas et à partir de quand. Ceci est extrêmement grave, car c'est une remise en cause de la loi de 2008 qui fixe des délais précis d'accès aux différents fonds documentaires", explique à Liberté le président de l'Association Josette et Maurice-Audin. Comme les autres signataires de la tribune, il reste en alerte, car il est convaincu que le gouvernement ne va pas abandonner son intention de contrôler l'accès aux archives en présentant une nouvelle version de l'article 14. "Ce qui est incroyable, c'est l'écart entre les déclarations du président de la République sur les archives et la réalité", poursuit Pierre Mansat en affirmant qu'Emmanuel Macron est sans doute très mal informé. "Ils doivent lui raconter des histoires et lui dire qu'il s'agit de dispositions très techniques indispensables", soutient notre interlocuteur, en désignant des cercles militaires et des services de renseignement qui cultivent, selon lui, des fantasmes sur les risques de la publication des archives. Résultat, la réforme législative sur laquelle le chef de l'Etat français s'est engagé il y a quelques semaines, pour faciliter l'accès aux archives, pourrait produire tout le contraire, surtout qu'elle va finalement intervenir dans le cadre de la loi sur la sécurité globale. "Le président a promis une consultation à ce sujet avec les concernés. Or nous ne détenons à ce jour aucune information. Nous avons été conviés à une seule rencontre avec le général Benoît Durieux, chef du cabinet militaire, à Matignon. Mais celle-ci s'est limitée à un simple échange de propos", confie Pierre Mansat qui déplore le rôle marginal confié jusque-là au ministère de la Culture dans la révision de la législation sur les archives alors qu'il est l'auteur de la loi en vigueur actuellement. Le régime général des archives fait partie en effet du code du patrimoine de 2008. Dans sa dernière déclaration, le président Macron a indiqué que "la réforme allait ajuster le point de cohérence entre ce code et le code pénal afin de renforcer la communicabilité des pièces sans compromettre la sécurité et la défense nationale". Pour Pierre Mansat, il est évident que le gouvernement fera tout pour bloquer l'accès aux archives, sous prétexte de préserver la sécurité nationale, en s'appuyant sur la loi sur le renseignement et la sécurité intérieure, qu'il qualifie de liberticide.