Par : Rachid RAHA PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE MONDIALE AMAZIGHE ET DE LA FONDATION MEDITERRANEENNE DAVID-MONTGOMERY-HART DES ETUDES AMAZIGHES. "Les femmes amazighes, gardiennes d'un patrimoine civilisationnel inestimable, ont défié les siècles et les époques en réussissant à préserver et à transmettre à travers les générations ce legs jusqu'à notre troisième millénaire." STATUT DE DIHYA MATIYA Kenza Awrabiya in Histoire du Maroc en BD (Med Maâzouzi Dir. Rabat 1993)
KENZA AWRABIYA Le royaume du Maroc s'obstine toujours à s'enfermer dans une histoire officielle réduite à une époque mise en lumière en remontant juste à douze siècles, exactement à la fondation de la dynastie des Idrissides. Lisez ce que véhicule un des historiens à leur solde : "L'histoire du Maroc débuta avec l'islamisation... Le fondateur de la nation marocaine, Idriss Ier, constitua un Etat indépendant des deux grands pôles du monde musulman qu'étaient alors Bagdad et Cordoue." Mais ce qui est un fait historique, c'est qu'Idriss Ier eut un règne éphémère autour de Volubilis, lorsqu'il épousa la fille du chef des tribus amazighes Awraba, Kenza. Le règne des Idrissides a connu plutôt sa splendeur et sa croissance sous le règne d'Idriss II, et ce dernier n'a pris le pouvoir qu'à l'âge de onze ans. En réalité, la personne qui détenait vraiment les arcanes du pouvoir était bel et bien sa mère, Kenza, et c'est elle, grâce à son intelligence, à sa ruse et à ses capacités de négociation, qui a réussi véritablement à unir les tribus amazighes autour de Fès. C'était une femme amazighe qui, en se fondant sur la légitimité patriarcale des hommes et en manipulant son fils, gérait les affaires politiques, administratives et militaires de ce nouvel Etat musulman. Et lorsque son fils mourut, en 828 ou 829, c'est toujours elle qui a postulé le partage du règne entre ses dix petits-fils et, par conséquent, elle l'a affaibli par les tiraillements de ces nombreux successeurs, jusqu'à 920, quand la capitale de Fès tomba aux mains des tribus des Miknasa et Kétama. En fin de compte, si la dynastie idrisside a eu un rôle religieux déterminant dans la conversion à l'islam de nombreuses tribus amazighes païennes ainsi que la diffusion de la tradition chérifienne, cela revient au courage d'une femme érudite : Kenza Awrabiya. ZAYNAB NAFZAWIYA La reine Zaynab Nafzawiya, femme du grand roi Youssef Ibn Tachfine, a marqué de son empreinte l'empire des Almoravides (1054-1147). Née en 1039 à Aghmat, elle était, selon certaines sources, originaire du Nefzawa, dans le Sud tunisien, appartenait à la tribu des Hawwara et avait eu le privilège de suivre une bonne éducation. Comme toutes les reines amazighes, elle était très belle, très intelligente et très spirituelle ; elle s'est mariée en premier à Abu Bakr ibn Omar. Ce dernier est le fondateur du mouvement almoravide, qui la quitte afin de mater une rébellion au Sahara et, de ce fait, conseille bizarrement à sa belle femme d'épouser son cousin Youssef ben Tachfine. Ce grand roi amazigh et musulman lui attribue le titre de reine en partageant avec elle son pouvoir. Zaynab accompagnait son mari partout, en le conseillant et en l'assistant à la croissance de la dynastie des Sanhadja, qui avait étendu ses frontières du Sénégal jusqu'à l'Andalousie, et elle était aussi sa principale conseillère lors de la fondation de l'une des plus prestigieuses villes d'Afrique : Marrakech. Même si les historiens maghrébins du MoyenÂge, imprégnés jusqu'à la moelle de la théorie générale du patriarcat, essaient d'effacer le rôle historique de certaines femmes et de minimiser à fond leur pouvoir politique, ils doivent admettre que si les Nord-Africains ont embrassé, dans leur écrasante majorité, le courant malékite du sunnisme islamique, c'est parce que ce rite constitue pour eux le courant le plus ouvert, le moins violent et le plus tolérant des autres rites. Et si les Amazighs eux-mêmes, et non pas les Arabes conquérants, ont réussi à le diffuser dans toute l'Afrique du Nord, cela revient dans une grande mesure grâce au rôle primordial des femmes et des reines amazighes. FEMMES AMAZIGHES CONTRE LA COLONISATION EUROPEENNE Comme nous venons de le voir, la femme amazighe a marqué de ses mains la période préhistorique, l'antiquité et le Moyen-Âge. La période contemporaine n'est pas en reste. En Algérie par exemple, suite à la colonisation turque, puis française, des femmes se sont impliquées activement dans la résistance armée. On dénomme par exemple Oum Hani et Fadma n Soumeur. Oum Hani, chef de tribu au Sahara, a réussi à mener plusieurs batailles contre le pouvoir des beys au XVIIIe siècle, et lorsque la santé ne le lui permettait plus, elle prodiguait des conseils à ses fils pour continuer ces batailles. Aux îles Canaries, on distingue le rôle de la reine Arminda dans la résistance à la colonisation espagnole des îles vers 1480. Et Sith al-Hourra à Chefchaouen, vers 1520... On cite aussi Fadma n Soumeur, qui est une grande héroïne kabyle qui organisa une partie de la résistance à la conquête française à deux reprises, en 1855 et 1857. Elle est née au village d'Ouerdja en 1830 dans une famille maraboutique à laquelle appartient le grand leader algérien Hocine Aït Ahmed. Ayant un caractère autoritaire, elle fut vénérée comme une femme sainte et a réussi, avec son frère Tahar, lors d'une assemblée de Soumer, à organiser la résistance des tribus montagnardes kabyles (Aït Itsouregh, Illilten, Aït Iraten, Illulen n Umalu...) contre les premiers assauts de la conquête française en 1855. Après la réussite de cette première bataille à Tazrouts, elle fut arrêtée lors de la deuxième le 11 juillet 1857, après que les colons français furent revenus avec plus de renforts militaires et humains. De toute manière, les femmes amazighes, même si elles ne sont pas au-devant des batailles, elles participaient d'une manière ou d'une autre à la résistance contre la colonisation turque et européenne en Afrique du Nord. Comme le souligne Assia Benadada dans son article Les Femmes dans le mouvement nationaliste marocain (https://journals.openedition.org/clio/1523), "les femmes approvisionnaient en eau et en nourriture les combattants, chargeaient les fusils et parfois remplaçaient les morts au front. Elles marquaient les hommes qui fuyaient les combats avec du henné pour les ridiculiser et les marginaliser et interdisaient à leurs épouses de s'approvisionner en eau aux puits et aux sources ; les femmes de la tribu Ghomara demandaient même le divorce lorsque leur mari refusait de participer au combat. Les femmes surveillaient également les mouvements des troupes ennemies et renseignaient les combattants avec un code spécial". Ainsi, au Maroc, pendant la Guerre du Rif (1921-1927) contre Mohamed Abdelkrim El-Khattabi, plusieurs femmes y ont participé activement. On mentionne dans la région de Jbala Fatima A'zayr de Chefchaouen et Hidna. Cette dernière est la sœur d'un résistant qui a réussi à assassiner l'officier Valdivia à Beni Arous. Et dans le Rif central et oriental, on distingue Aïcha Abi Ziane, qui n'était qu'une fillette âgée de dix ans seulement, et qui aurait participé à la fameuse bataille d'Anoual en 1921, ainsi que Mamat Al-Farkhania, Aïcha Al-Ouarghalia et Haddhoum Al-Hassan. Au Moyen-Atlas, on distingue Ytto Moha Ouhamou Zayani, fille de Moha ou Hamou Zayani qui a mené la lutte aux côtés de son père contre les Français. Dans le Souss, on cite la combattante Aïcha Al-Amrania, de la tribu des Aït Ba Amrane, tuée dans la bataille d'Assak en 1916. Au Sud-Est, dans la région d'Assamar, 'Adjou Oumouh des Aït Atta s'est distinguée dans la résistance à la colonisation française à Adrar Saghro à la bataille de Bougafer en 1933, une bataille où ont péri, selon certaines sources, 117 femmes. Et à propos des mouvements de libération pour l'indépendance des pays de Tamazgha, nous citons le rôle de Ghita Allouche, femme leader de l'Armée de libération du Maroc (ALN, Abbass Messaâdi et Fadma Mimoun El-Hammouti, femme du résistant Mohand Khider, qui à côté de son mari aidait de manière exceptionnelle les membres de l'Armée de libération nationale de l'Algérie (FLN) qui se réfugiaient à Beni Enzar, dans la province de Nador.
LES REINES DE L'EGYPTE ANTIQUE ONT-ELLES ETE EN RAPPORT AVEC DES FEMMES AMAZIGHES ? Une des questions qui se posent avec acuité, c'est celle de savoir si les reines égyptiennes, comme Nefertiti ou Cléopâtre, ont été en rapport avec les femmes amazighes anciennes, du fait qu'elles partageaient l'origine matriarcale. Nous pouvons parfaitement répondre par l'affirmative du fait que dernièrement des chercheurs s'alignent de plus en plus sur la conviction de l'idée que la grande civilisation pharaonique était d'origine amazighe. Ainsi, des études génétiques du National Geographic, et surtout du grand immunologue le Dr Antonio Arnaiz-Villena (coéditeur, avec Jorge Alonso García, d'Egipcios, Bereberes, Guanches y Vascos - Editorial Complutense de Madrid, 2000), des études archéologiques et historiques de Malika Hachid, auteur de l'étude monumental Les Premiers Berbères (Edisud, Aix-en-Provence 2000) et de Taklit Mebarek Slaouti, auteur des Amazighs en Egypte (Anep, Alger 2016) confirment ce constat. Mais cela, c'est une autre histoire ! Mais pour revenir aux belles femmes égyptiennes anciennes, vénérées et admirées, à l'époque où les Grecs et les Romains se surprenaient profondément de leurs rôles et de leurs pouvoirs, celles-ci gouvernaient, décidaient et géraient le pays à l'égal des hommes, à l'encontre de la misogynie des religions patriarcales du judaïsme, du christianisme, de l'islam et des civilisations gréco-romaines. Les reines Merneith, Néférousobek, Hatchepsout, Taousert, Tyi, Néfertiti ou Cléopâtre, qu'elles soient la mère, la sœur ou la principale épouse du pharaon, détenaient un rôle politique de premier ordre en gérant les affaires de l'Etat aux côtés de celui-ci ou/et durant son absence, ou après sa mort ! CONCLUSION Les traces de l'ancien ordre matriarcal de la société amazighe persistent encore de nos jours dans la terminologie de certains mots. Ainsi, l'origine étymologique des mots "uma" et "ultma", qui désignent respectivement frère et sœur, dérive des mots "mis n yemma" et "yellis n yemma", qui voudraient dire fils et fille de ma mère, toujours en référence à la mère ! À cause d'une lecture de l'histoire faite exclusivement par les hommes, et en plus imprégnée exclusivement des thèses patriarcales et de l'idéologie importée du Proche-Orient arabo-islamo-salafiste, le rôle des femmes s'est retrouvé totalement marginalisé et exclu de l'histoire officielle des différents pays d'Afrique du Nord. Certains pays d'Afrique du Nord, en l'occurrence le Maroc et l'Algérie, malgré le fait qu'ils aient reconnu officiellement leur langue et leur identité autochtones amazighes dans leur Constitution, n'ont pas encore réformé les manuels scolaires pour revoir leur mémoire collective et pour que les nouvelles générations se réconcilient avec leur histoire authentique, avec ses pages lumineuses et ses pages sombres. En définitive, cette nécessaire et nouvelle relecture de l'histoire d'Afrique du Nord, tant désirée, tant attendue et tant revendiquée, ne pourrait se réécrire sans les femmes amazighes, sans timgharin.