L'auditorium de la Radio algérienne n'a pu contenir la déferlante algéro-tlemcénienne qui a recouvert les travées, les strapontins, les escaliers, les couloirs, y compris le hall et la fosse d'orchestre. Hormis les 330 places assises — selon les agents de sécurité, qui n'ont ménagé aucun effort pour satisfaire la totalité du public évalué à 500 personnes qui est venu honorer hier soir, le maître du hawzi nedromi, Cheikh El Hadj Ghafour. Bien que marqué par l'outrage des ans (75 ans) le maître est entré en scène d'un pas mesuré, le port altier, la chéchia élégamment inclinée sur le sourcil gauche, djellaba et babouches blanches. Des vagues de youyous et d'acclamations l'ont accueilli. Mains croisées sur la poitrine, il accepte modestement l'hommage, saluant de la tête l'assistance. Dix musiciens accompagnent la vedette, 2 violons, deux percussions (tar et derbouka) , 1 banjo, deux luths et 3 guitares. Le r'bab et le clavecin (qanoun) qui sont pourtant les instruments indispensables à un concert andalou, ne figurent pas ce soir. Toutefois, le joueur de banjo a su et pu supplanter l'absence de piano grâce à une maestria digne des anciens. Le concert proprement dit fut élaboré sous forme de bouquet judicieusement choisi dans le répertoire insirafate, inkilabate et khlass, chansons légères rythmées et courtes, pas de qacidate ; nous sommes en Ramadan, le public vient se divertir, applaudir, reprendre en chœur les refrains connus et se faire plaisir. Les thèmes toujours récurrents de l'amour, de la beauté, de la joie de vivre sont repris par le maître à travers des refrains connus de tous depuis des générations. Des classiques en somme. Après une légère touchia, et une partition chantée en chorale, l'ouverture en solo se fit avec Saâdi rit el barah, kahl el aïn… (privilège, j'ai rencontré hier celle aux yeux noirs) suivie d'un couplet en chœur Ach ma ibered nirani (qui peut apaiser ma souffrance ?). Suit un poème qui évoque la nostalgie de l'amour perdu Ya oua'di ma b'qa fe dounia, ya hasrah ala el ghram… (il ne reste plus rien dans la vie, ô amour perdu). Puis le maître enchaîne quelques airs scandés A layemni be li'ti ma zarouh m'hani, suivi du Khlass royal : Ouahd el ghozyel qui déchaîna dans l'assisance une ambiance de délire. Laqi toha fi ettawafi tes'ha fut chantée par cinq cents gorges déployées à faire frémir les armatures métalliques des murs et du plafond de l'auditorium… S'ensuivirent les mythiques Thlata zahoua ou m'raha et lellah ya bne el ouerchem, eddi slami le ghossne el bène qui forcèrent l'admiration, toujours renouvelée du public, bien que ces airs se chantent depuis des générations. Une ode à la gloire de Tlemcen, raconte l'amour entre deux jeunes gens, et l'inquiétude des parents de la jeune fille convoitée et la phrase suivante souleva un tollé de youyous et d'applaudissements parmi les travées : Ou idha yseqsi ala el asal, qol laha Tlemçani… Le concert prit fin comme il se doit, avec un m'dih dini ; tous les concerts andalous se doivent, après avoir chanté l'amour et le nectar du pampre, de revenir à la raison et de louer les vertus du Très haut, et de son serviteur Mohammed (QSSSL). Ainsi, El horm ya habib Allah, et ochqi ou ghrami Allah ya lah, sid ettouhami rassoul Allah ont clos, vers minuit, une soirée fantastique ! Bravo, maître ! NORA SARI