Panique, détresse, inquiétudes, souffrances, indignation, curiosité et solidarité. Ces attributs donnent un aperçu de l'ambiance qui a régné hier dans les hôpitaux et les autres structures de santé, après l'explosion des bombes ayant ciblé la capitale, particulièrement le Palais du gouvernement et le commissariat de Bab-Ezzouar. À l'hôpital Mustapha-Pacha, les services des urgences ont connu une agitation très particulière. Les ambulances et les brancards transportant les morts et les blessés n'ont dissuadé ni les malades ni d'autres citoyens qui ont accouru de partout. La présence remarquée de la police, de la gendarmerie, de la Protection civile et du Croissant-Rouge algérien a, au contraire, attisé davantage la curiosité des gens. “Je suis venue pour voir ce qui se passe et si on a aussi besoin de moi”, a déclaré une femme, la quarantaine passée. Habitant non loin de la place du 1er-Mai, cette dernière a bien entendu la détonation ce matin. “Je croyais que c'était le tonnerre, mais ma fille pensait que c'était le séisme. Finalement, mes voisins m'ont informée de la voiture piégée au Palais du gouvernement. J'ai alors accouru ici à l'hôpital”, a-t-elle affirmé avant de se diriger vers le service de transfusion sanguine pour contribuer à “redonner vie” avec son sang. Tout près de l'entrée des urgences, une équipe paramédicale entourée par une dizaine de femmes commentaient “l'événement du palais”. “Ils ont ramené un homme mort dans notre service, qui avait une partie de la tête arrachée”, a confié une infirmière ou aide-soignante. Une autre lui a répliqué que son service a reçu “une femme avec son bébé mort”. Une troisième a révélé avoir aidé au transport d'une femme enceinte, “choquée par l'explosion de la bombe”, vers le service de gynécologie. “On n'est pas dans un pays juste. Ils ont pardonné aux terroristes sans mesurer les conséquences. Ils leur ont donné des salaires et des logements, en leur permettant de retrouver leurs forces. Et les voilà qui sont maintenant heureux de semer de nouveau la mort et l'horreur”, a soutenu cette dernière. Non loin d'elle, des parents au regard hagard sont venus “vérifier si aucun membre de la famille n'a été touché”, durant l'explosion. À l'exception d'une mère de famille, qui a également estimé que “cette politique de réconciliation et le manque de vigilance n'ont engendré que désolation et impuissance”. À quelques mètres de cette femme, un groupe de citoyens commentait les informations rapportées par les chaînes de télévision. Certains ont affiché leur scepticisme par rapport aux bilans officiels. “On parle de 17 morts. Ce n'est pas vrai”, a indiqué un père de famille pour qui “le bilan est sûrement très lourd”. Un autre citoyen a, quant à lui, noté “la rapidité de l'information diffusée sur Al-Jazeera et les chaînes françaises”, en s'en prenant carrément aux agents de sécurité qui empêchaient à ce moment précis les journalistes algériens de pénétrer à l'intérieur des urgences. Dans les rangs des jeunes, le silence, l'intérêt au remue-ménage et parfois la nervosité ont pris le dessus. Pourtant, ils ont réagi lorsqu'une femme âgée a failli s'évanouir et sont venus la secourir. En début d'après-midi, le directeur de l'établissement hospitalier a annoncé un bilan provisoire : 93 blessés et 11 morts dont 2 policiers et une vieille femme qui, une fois transférés sur les lieux, ont succombé à leurs blessures. Ce bilan a été confirmé par la chargée de la communication, qui a fait part d'un besoin en sang O négatif. “On ne peut vous donner pour l'instant qu'un bilan provisoire. Comme vous voyez, les blessés continuent d'affluer vers l'hôpital”, a-t-elle ajouté, en pointant un doigt vers l'ambulance de la clinique centrale qui venait d'arriver. À l'intérieur du service des urgences, on nous expliquera que des personnes blessées ont été orientées vers d'autres services (CCA, CCB, dermatologie, neurologie, thoracique…) pour des radios, des consultations plus approfondies, des opérations chirurgicales ou pour désengorger le service. Là aussi, quelques langues se sont déliées pour accuser “les actes du terrorisme” et “leur lien avec les élections”. “À quoi riment ces élections, si le Palais du gouvernement, qui est le symbole de l'Etat, a été ciblé et touché ?” s'est interrogé un citoyen, dont le frère était blessé. Dans un coin, tout près de l'entrée, des groupes de policiers et d'agents de la Protection civile, à la mine grave, étaient silencieux. Il était 14h passées, pourtant les blessés continuaient à arriver à l'hôpital Mustapha-Pacha. Un policier recouvert d'un bandage à la tête a été introduit dans une petite salle. Selon le médecin, il s'agissait d'une victime de l'attentat contre le commissariat de Bab-Ezzouar, qui souffrait d'un traumatisme crânien et qui a été envoyée par l'hôpital de Rouiba. Dans une autre salle, un homme paraissant tout à fait normal se plaignait de maux de tête et disait que ses oreilles étaient bouchées. Devant son état, sa famille l'a ramené aux urgences, d'autant qu'il se trouvait non loin du Palais du gouvernement au moment de la déflagration. Dans le couloir, un autre malade hurlait de douleur, en montrant sa tête et l'œil gauche recouverts d'un bandage. Une femme médecin a ordonné de l'emmener en chirurgie, en refusant tout commentaire à la presse. “C'est un chauffeur de taxi, il conduisait du côté du Palais du gouvernement… Il a été blessé à l'épaule et aux yeux. Il transportait une jeune passagère qui est décédée. Il vient de subir une opération chirurgicale à l'œil et va être opéré à nouveau”, nous a confié une infirmière, sans plus de précision. Dans une autre salle, située près de la porte d'entrée, une femme en crise d'hystérie y est transportée. Un des jeunes médecins mobilisés nous révélera qu'elle habite Bab-Ezzouar et qu'elle venait de perdre un de ses fils. “Je veux voir mon fils !” criait-elle, en se débattant. Autre direction : l'hôpital Zemirli à El-Harrach. Même attroupement devant le service des urgences et mêmes regards absents chez beaucoup de parents des victimes. Selon le directeur de cet hôpital, le bilan provisoire fait ressortir 9 blessés à Alger et 35 blessés de l'attentat de Bab-Ezzouar, dont un seul a subi une opération chirurgicale. Le responsable nous apprendra, en outre, que parmi les blessés, 4 ont été orientés vers le service de chirurgie maxilo-faciale de l'hôpital Mustapha-Pacha et un autre vers le service d'ophtalmologie de l'hôpital Parnet à Hussein-Dey. À l'hôpital Zemirli, nous avons pu nous glisser dans deux salles. Dans la première, se trouvaient 5 corps inertes, 4 femmes et un homme, et le cadavre d'un enfant âgé d'à peine 5 ou 6 ans. Dans la seconde salle, une odeur de brûlé se dégageait, imprégnant fortement les couloirs environnants : 4 corps méconnaissables parce que calcinés gisaient sur le sol. Etait-il utile de poser des questions aux médecins présents sur les lieux ou aux familles des victimes qui attendaient devant les portes ? C'était trop leur demander, nous en étions conscients, c'était même de l'ordre de l'indécence. En réalité, les yeux des uns et des autres nous parlaient de cette impuissance des temps nouveaux, résultat de la complaisance de nos dirigeants face à la violence intégriste. Hafida Ameyar