Par : Ali Kefaifi (Ingénieur Civil des Mines et IFP) Réagissant à l'étude réalisée par "The Shift Project" sur les perspectives de l'approvisionnement de l'UE, Ali Kefaifi défend un point de vue divergent. S'il reconnaît la pertinence des conclusions de l'étude sur le déclin des réserves pétrolière, l'expert estime que "l'Algérie demeure une grande puissance en ressources naturelles". Cadre. Une étude récente du ministère français de la Défense visait à déterminer les objectifs et les politiques de décarbonatation de l'accord de Paris 2015, en analysant les risques liés aux approvisionnements pétroliers futurs de l'UE. Cette étude réalisée par l'institut français Shift est en fait conduite par deux anciens directeurs, compétents et parfaitement informés, auparavant chargés de l'exploration et de la valorisation des gisements dans le groupe Total. Sur le plan méthodologique, ces analystes ont utilisé une base de données (Ucube du cabinet norvégien Rystad), une méthodologie classique mais en négligeant les découvertes pétrolières futures, dont la récupération tertiaire des gisements existants, les hydrocarbures non conventionnels et, en matière de pays, le potentiel pétrolier de l'Algérie et de la Libye. Pour ces deux pays-ci, est-ce qu'il s'agit d'une négligence volontaire, pour ne pas divulguer les informations géologiquement sensibles détenues par l'entreprise Total sur les bassins pétroliers de ces deux pays (récupération tertiaire des gisements existants en Algérie et en Libye, gisements potentiels en frontière géologique, hydrocarbures non conventionnels, travaux universitaires, etc.) ? Ce faisant, ces experts chevronnés et disposant d'une parfaite connaissance des sous-sols algérien et libyen, ont été amenés, volontairement ou involontairement, à ignorer le potentiel pétrolier véritable de ces deux pays. Pour l'Algérie, les prévisions de courbes de production pétrolière ne sont pas cohérentes avec les modèles universels d'économie pétrolière, notamment la théorie de Hubert Young actualisée, qui permet de prévoir l'évolution de la production pétrolière axée sur une courbe dite logistique. Une méthode beaucoup plus fiable que la détermination du ratio réserve/production délaissée depuis le milieu du siècle dernier production. En donnant des informations non fiables, cette étude empêchera l'Algérie de se préparer pour faire face à la fin probable des exportations pétrolières avant 2025. En d'autres termes, les résultats trompeurs de cette étude risquent de mener l'Algérie à la faillite. Pour la décennie à venir, et compte tenu du fait qu'il faut 10 années pour développer un nouveau gisement à découvrir, la solution est de doubler, voire tripler, les réserves ultimes du gisement de Hassi-Messaoud, et ce en mettant en œuvre la récupération assistée tertiaire (injection dans le gisement de Hassi-Messaoud du gaz carbonique produit à In Salah, récupération tertiaire microbiologique, etc). Une solution complémentaire consiste à récupérer les hydrocarbures liquides non conventionnels, en privilégiant les découvertes technologiques et les mesures environnementales. Pour les hydrocarbures non conventionnels (pétrole, condensats, tight oil, gaz naturel), pour lesquels l'Algérie se trouve en première position dans le monde, l'étude a totalement ignoré les ressources algériennes, dont des ressources récupérables de 70 000 milliards m3 de gaz (contre 2000 milliards m3 pour Hassi R'mel, nonobstant les hydrocarbures liquides (condensats, tight oil), mais a intégré le potentiel libyen à hauteur de 3,6 milliards de barils alors que les hydrocarbures non conventionnels algériens et libyens ont des origines similaires, à travers la roche mère silurienne. Pour les gisements à découvrir, particulièrement dans le Nord de l'Algérie dans les zones dites "frontière géologique" (Sud oranais, Hodna, etc.), les experts algériens ayant quitté Sonatrach pour d'autres cieux mentionnent des gisements éléphants plus importants que les gisements de Hassi-Messaoud. Dans la réalité, et de manière fortement probable, les réserves pétrolières algériennes ultimes, découvertes et à découvrir, dépassent les 6 milliards de barils annoncés par l'étude ou les 12 milliards de barils annoncés administrativement dans le cadre de l'Opep. Le véritable potentiel pétrolier algérien pourrait s'établir à une cinquantaine de milliards de barils, dont 18 milliards de barils issus de la récupération tertiaire des gisements de Hassi-Messaoud et de Rhourde El Bagel, et près de 30 milliards de barils à découvrir dans les "frontières géologiques" du nord de l'Algérie. En conclusion, nous pourrions avancer les propositions suivantes fiables pour compléter les documents élaborés par le bureau d'études Shift sur les approvisionnements pétroliers futurs de l'UE à partir du pays voisin méridional et surtout commercialement fiable : -l'étude gagnerait à utiliser les données disponibles 1950-1990 dans la base de données des entreprises françaises, dont Total, et estimer le potentiel pétrolier algérien de manière plus fiable et dans l'intérêt de l'économie de l'UE à la recherche de sources d'énergie et de minéraux critiques ; -l'Algérie gagnerait à s'ériger comme puissance disposant des principales ressources naturelles : ressources énergétiques (pétrole, gaz naturel conventionnel ou non conventionnel, hydrogènes bleu et vert et même multicolore, électricités solaire, voltaïque et thermique, uranium fissile, thorium fertile pour centrales nucléaires maîtrisables, etc.), minéraux industriels (baryte, bentonite, marbre, kieselghur, potasse, etc.), minéraux métalliques (terres rares, cuivre, nickel, lithium tungstène, coltan, vanadium, manganèse, minerai de fer, etc.) Une Algérie débureaucratisée, ouverte à la décarbonatation universelle, pourrait développer les chaînes de valeur associées à ces différentes ressources naturelles, en combinant les ressources humaines nationales, le secteur privé algérien et les détenteurs de technologie des autres pays, dont ceux du continent européen. Par avance, il faut rendre saluer les experts Shift qui, à travers leurs bases de données minérales, savent que l'Algérie peut, économiquement et géostratégiquement, aider l'UE à minimiser les conséquences de son talon d'Achille, face aux autres "régions" nanties (USA, Chine, Russie, Australie, Canada).