Les partis islamistes dans leur ensemble participent aux élections législatives anticipées du 12 juin qu'ils considèrent comme une opportunité pour s'emparer du pouvoir législatif. Ils partent à l'assaut de la République. Une menace. "Le 12 juin, qui coïncidera avec le trentième anniversaire de la création du Mouvement de la société pour la paix (MSP), nous allons célébrer notre victoire et triompher sur ceux qui nous ont privé, par le passé, d'une victoire méritée et reconnue par tous". À quelques jours du scrutin du 12 juin, Abderrezak Makri, président du MSP, ne dissimule pas son optimisme de réaliser un rêve nourri en sourdine depuis plusieurs décennies : faire du parti cher au défunt Mahfoud Nahnah, adepte de la confrérie des frères musulmans égyptiens et aujourd'hui de l'AKP, parti au pouvoir d'Erdogan en Turquie, la première force politique au Parlement. En dépit d'un climat politique lourd, sur fond d'arrestations, de répression, de verrouillage politico-médiatique, de marasme économique, de pandémie et une désaffection de pans entiers d'électeurs, le MSP pense que l'heure est venue de cueillir les fruits des années de lutte où l'opportunisme le dispute à des volte-face dont il ne s'encombre guère. "Le moment est venu de récolter les fruits de longues années de combat et de lutte politique", a-t-il dit lors d'un meeting à Médéa. S'il se frotte déjà les mains, c'est parce que, à ses yeux, sa formation, compte tenu de la qualité des adversaires et le discrédit du FLN et du RND, est la mieux structurée et qui dispose d'un gisement électoral à même de lui assurer le triomphe espéré. "Tous les indices sont favorables au parti et le donnent gagnant avec une majorité confortable", prophétise-t-il. Seule crainte, mais qui trahit sans doute une anticipation sur une éventuelle déculottée : la fraude. Alors qu'il n'a pas cessé de louer les engagements du chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune, et celle de l'Anie, en faveur d'une élection libre et transparente, Abderrezak Makri ne manque pas de mettre en garde les "bandes locales" contre des velléités de détournement des voix, en appelant ses militants, sympathisants et cadres du parti à "défendre et à protéger les urnes, afin que le choix des électeurs soit préservé et la volonté populaire respectée". Incertitudes Cet optimisme, au-delà de son caractère politicien, s'appuie-t-il sur un réel ou présumé rapport de force ? ou cacherait-il quelques arrangements avec le pouvoir ? lorsqu'on sait que ce parti a fait partie du gouvernement du temps de Bouteflika et a même joué l'intermédiaire en 2019, peu avant l'émergence du Hirak, dans l'espoir de prolonger le bail d'une année au profit du président déchu pour organiser une transition en douce. Dans l'entretien accordé, il y a quelques jours, au magazine Le Point, Abdelmadjid Tebboune ne semblait pas s'inquiéter de l'arrivée d'une majorité parlementaire même si le propos paraissait de circonstance. "L'islamisme en tant qu'idéologie, celle qui a tenté de s'imposer au début des années 1990 dans notre pays, n'existera plus jamais en Algérie. Maintenant, l'islam politique a-t-il bloqué le développement de pays comme la Turquie, la Tunisie, l'Egypte ? Non. Cet islam politique-là ne me gêne pas, parce qu'il n'est pas au-dessus des lois de la République, qui s'appliqueront à la lettre". Il faut dire que depuis l'expérience violente des années 90, le pouvoir algérien a adopté une nouvelle approche en direction de la mouvance islamiste, particulièrement celle cataloguée de "soft", en l'associant à la gestion de certains départements ministériels, mais aussi en consentant à quelques concessions sur des questions idéologiques. Résultat des courses : beaucoup d'agents du pouvoir partagent aujourd'hui la même vision "conservatrice, religieuse, nationaliste" de l'avenir de l'Algérie, comme ne cessent de l'afficher ouvertement des représentants de l'Etat et les islamistes et qu'on affuble du vocable "badissia-novembria". Et vu sous cet angle, même si rien ne permet de faire quelques pronostics sur l'issue du scrutin, rien n'exclut qu'Abderrezak Makri devienne chef du gouvernement à la tête d'un gouvernement d'union nationale, comme il s'y engage. Mais, qu'elle soit le fruit d'un plébiscite de ceux qui auront voté ou d'un arrangement, cette perspective n'est rendue possible que parce que les démocrates, en phase avec une bonne partie du Hirak, ont boycotté massivement le scrutin et que le pouvoir, dans sa quête de relégitimation a besoin de ces partis qu'on qualifie de "domestiqués". Mais pour ces islamistes, le MSP, mais également le FJD d'Abdallah Djaballah, Ennahda et El-Islah ou encore le mouvement El-Bina de Bengrina, — si l'on excepte la tendance radicale qui s'est fondue dans le Hirak —, il s'agit, avant tout, à travers la participation, d'une question de survie avant d'aspirer à une victoire. Rejetés par le Hirak qu'ils ont fini par brocarder après l'avoir loué, en proie à des divisions internes et la guerre de leadership, incommodés par le reflux de cette mouvance sous d'autres latitudes, à l'ombre des changements géostratégiques, les islamistes participationnistes ne voient en définitive dans ces élections que l'unique planche de salut qui leur permet d'aspirer à continuer à exister et pourquoi pas à gouverner. Reste qu'au regard du contexte dans lequel intervient le scrutin, les incertitudes et les zones d'ombre qui l'entourent, rien ne dit aussi qu'ils n'auront pas la gueule de bois au matin du 13 juin prochain.