Si elles sont tenues pour répondre à un impératif constitutionnel inscrit dans l'agenda politique du chef de l'Etat, les élections législatives anticipées d'aujourd'hui se déroulent dans un climat peu serein tant elles divisent l'opinion. Présentées par les autorités comme un "évènement majeur" pour parachever l'édifice institutionnel entamé avec l'élection présidentielle du 12 décembre 2019, avant d'engager la dernière ligne droite des élections locales prévues avant la fin de l'année en cours, les élections législatives, auxquelles sont conviés aujourd'hui plus de 24 millions d'électeurs, ne semblent pas susciter l'engouement des Algériens. Hormis peut-être les abonnés des scrutins composés pour l'essentiel des militants loyaux des formations politiques participantes, des réseaux souterrains où on retrouve les zaouias et quelques associations satellites du pouvoir et les proches des candidats dits "indépendants", il est peu probable que le scrutin attire la grande foule. D'autant que les législatives, contrairement aux élections locales ou à la présidentielle, ont, de tradition, été boudées par les Algériens. En 2017, le taux de participation était de seulement 37,35%, tandis qu'en 2012, il était de 43%. Est-ce peut-être le discrédit qui a frappé la chambre basse du parlement et cette conception largement partagée chez nombre d'Algériens selon laquelle elle fait office simplement de tremplin pour certains pour s'inscrire à la rente qui seraient à l'origine des bouderies répétées ? Au-delà de cet aspect, les signes d'une désaffection annoncée sont multiples : il y a d'abord, la campagne électorale. Au terme de trois semaines, les candidats, dont certains sont des reliques de l'ancien régime de Bouteflika, alors que d'autres sont des néophytes, n'ont pas pu drainer des foules lors de leurs meetings électoraux. Certains ont même dû annuler des rencontres faute de public. De guerre lasse, beaucoup ont décidé d'investir les réseaux sociaux dans l'espoir d'infléchir la tendance. Il faut dire aussi que leur discours fut caractérisé par une indigence tournant parfois au loufoque, lorsqu'il ne verse pas dans la haine et la discrimination. "Jamais peut-être les Algériens n'ont ressenti autant de dégoût, excusez le terme, devant des candidats qui rivalisent, les uns avec les autres, en médiocrité. Toutes les élections passées avaient leurs charlatans et leurs clowns, mais encore plus avec ces législatives. Il y a dans l'air comme un sentiment d'humiliation", observait dans les colonnes de Liberté, le sociologue Nacer Djabi. Ensuite, il y a le contexte politique. Dans un climat lourd, sur fond d'arrestations tous azimuts et de verrouillage politico-médiatique à l'encontre des voix de l'opposition, les élections interviennent au lendemain d'un coup de filet opéré sur des figures connues du Hirak, à l'image de Karim Tabbou ou encore du directeur de Maghreb Emergent et radio M, Ihsane El Kadi et du journaliste, Khaled Derarni. On ignore pour l'heure les raisons qui ont motivé ces arrestations, mais elles ne sont pas de nature à fournir les signes d'une volonté d'apaisement, ni d'une volonté d'un changement de cap dans l'approche de sortie de crise. Enfin, il y a la pandémique et la crise économico-sociale qui semblent avoir épuisé les espoirs de pans entiers de la population quant à une perspective de changement à travers les urnes, maintenant que le Hirak a été étouffé. Comme un avant-goût de ce que sera le scrutin d'aujourd'hui, les Algériens de la diaspora ne se sont pas bousculés devant les urnes alors qu'Alger offrait hier l'image d'une ville qui ne semblait pas emballée par l'événement. Reste que les enjeux du scrutin sont nombreux : si pour le pouvoir, attaché à l'application de sa " feuille de route", il s'agit d'élire un parlement - qu'importe le taux de participation -, dans l'espoir de se relégitimer et de sauvegarder ses équilibres internes, pour les participants, en revanche, notamment les partis, il s'agit d'investir les institutions et de disposer d'une visibilité en perspective d'une recomposition politique en vue. Quant au Hirak, qui peine toujours à trouver les ressorts pour une meilleure organisation, il s'agit de tenter de disqualifier un scrutin qu'il rejette au demeurant même si sa capacité à changer le cours des choses et à obtenir les changements escomptés butent sur l'intransigeance du pouvoir. Une seule certitude, cependant : demain dimanche, l'Algérie se réveillera avec un nouveau parlement, mais avec les ingrédients d'une profonde crise multidimensionnelle toujours en place. Avis de sceptique : "C'est d'évidence, une occasion ratée. Cette élection n'échappe pas aux grandes tendances habituelles de recyclage du vide politique et qui ne sert, au final, qu'à reproduire les mêmes pratiques, les mêmes assemblées mal élues avec le même personnel politique assujetti au pouvoir et au système. Nous n'aurons pas le 13 juin un parlement qui légifère, propose des textes de lois, anime le débat politique, contrebalance le pouvoir exécutif et s'enquiert des préoccupations des Algériens", soutient Nacer Djabi.