Chassez le naturel, il revient au galop ! C'est l'impression que l'on ressent après lecture des témoignages de feu Lakhdar Kaïdi, sur les “coups de force” menés par les dirigeants algériens, avant et après l'indépendance de l'Algérie. Entretiens avec Kaïdi Lakhdar, une histoire du syndicalisme algérien, est le dernier ouvrage du sociologue et chercheur Nasser Djabi, publié récemment aux éditions Chihab, dans lequel Kaïdi, dirigeant syndical et militant communiste décédé en mars 2004, retrace la marche d'un combat syndical et politique, durant un demi-siècle, indissociable des choix politiques. Pour Djabi, “le livre de Lakhdar Kaïdi” est le premier témoignage sur la naissance de la pratique syndicale pendant la colonisation et “l'histoire du pluralisme syndical” qu'a connu le pays avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale, qui nous projette également dans l'atmosphère des luttes et des conflits de l'époque. L'enfant de Mila, qui s'engagea en 1943, à l'âge de 20 ans, à la CGT et au parti communiste algérien (PCA), révèle l'existence à l'époque de “deux conceptions de la lutte de libération” : la “conception nationaliste étroite arabo-islamique”, qui privilégiait les luttes politiques basées sur “des sentiments d'appartenance historique, religieuse, culturelle, civilisationnelle” et la “conception internationaliste”, qui concevait la libération “sous son double aspect de libération de l'oppression nationale et de libération de l'exploitation sociale”. D'après lui, le jeu des divisions et des luttes intestines entre les fractions existant au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés et de la démocratie (MTLD) aurait laissé des séquelles au niveau syndical. Le différend politique et la lutte sans merci menée entre les Messalistes et le FLN a abouti à la création de deux centrales syndicales en 1956, l'USTA (7 février) pour les premiers et l'UGTA (24 février) pour le second, et ce, malgré l'existence de l'UGSA dont Lakhdar Kaïdi était membre de la direction. Ce dernier explique que l' UGTA est devenue “un simple appendice du FLN, une organisation de masse dirigée par le FLN et au service exclusif du FLN et du parti unique”. Et c'est cette “tare congénitale”, dit-il, qui empêche aujourd'hui encore l'UGTA de prendre en main résolument les intérêts du monde du travail, se mettant avant tout “au service du pouvoir (…), que ce dernier ait raison ou tort !” Celui qui passera plus de 6 ans dans les prisons et les camps d'internement, entre septembre 1956 et janvier 1962 et qui renouera avec la prison à l'indépendance, confie que dans le mouvement national existait “une situation inextricable de divisions et d'affrontements”. “Les conditions dans lesquelles avait été déclenchée la Révolution et s'était développée la lutte de libération, les moyens et les méthodes qui ont été utilisés, avaient abouti à la création d'un parti unique, non seulement sur le plan organisationnel, mais aussi sur le plan idéologique. Un parti unique qui ne tolérait (…) aucune idéologie, aucune position politique autre que celle professée par le groupe dirigeant”, indique-t-il, en qualifiant l'idéologie nationaliste d'“étroite”, de “chauvine”, de “fortement teintée de caractère religieux et influencée fortement par une idéologie petite bourgeoise”. Kaïdi confirme l'usage des pratiques antidémocratiques, affirmant qu'au lendemain de l'indépendance, “ce sont les éléments de l'extérieur qui se sont arrogés le droit, sans avoir été désignés par qui que soit, de s'ériger en direction de l'UGTA”, référence faite à “l'arrivée du GPRA ou du Bureau politique et de l'Armée des frontières”. Concernant le premier congrès de l'UGTA où il participa en sa qualité de journaliste d'Alger Républicain, il le qualifie de “coup de force” mené par la tendance du Bureau politique de l'époque, dirigé par Khider, pour placer des éléments qui avaient “la qualité d'une certaine souplesse ou d'une certaine docilité (…) à l'égard des dirigeants politiques”. Hafida Ameyar