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Troisième vague ou l'échec relatif des choix stratégiques de lutte contre la Covid-19 en Algérie
Contribution
Publié dans Liberté le 19 - 08 - 2021


Par : Dr Abdelhak BENDIB
Epidémiologiste
Bien que les aspects sociaux et économiques soient des critères incontournables dans la prise de grandes décisions, il n'en demeure pas moins que ce sont les indicateurs de morbidité, de mortalité, de contagiosité, de virulence et autres saturations des services ou d'épuisement du personnel qui doivent être des priorités au sein de ces critères de décision."
La troisième vague de Covid-19 actuellement en cours en Algérie a dépassé le pic de la deuxième de la même manière que la deuxième a dépassé celui de la première. Cette situation était un tant soit peu attendue et beaucoup l'avait prévue. Quid du comité scientifique de suivi ? Les quatre principaux facteurs à l'origine de cette situation sont bien connus. Ce sont l'insuffisance de la vaccination, l'arrivée des nouveaux variants hautement plus contagieux, la quasi absence du testing/dépistage/isolement et la faible existence des autres mesures préventives (respect des gestes barrières, contrôle de l'application des mesures préventives, confinement...). La situation s'aggrave de plus en plus et le fait le plus inquiétant est certainement l'augmentation rapide de la mortalité. Pour faire face, le gouvernement, tardivement, a fini par prendre des mesures plus radicales de confinement et de restrictions. Si ces mesures s'avéraient suffisantes, leurs effets positifs ne pourraient être perçus que dans deux à trois semaines au mieux et l'évolution dépendra intimement de la durée de mise en œuvre de ces mesures voire de leur renforcement.
Entre-temps, l'on s'attend objectivement à une détérioration plus importante de la situation entrainant une pression encore plus forte sur les services de santé et très probablement une hausse de décès aussi bien au sein de la population générale que des soignants. Cette situation dramatique est profondément préoccupante. Certes, la meilleure solution actuelle est la vaccination mais principalement par manque de vaccins, nous sommes loin d'atteindre la couverture suffisante pour interrompre la transmission. De plus, selon ce que nous constatons sur l'évolution de la maladie, notamment sur la durée relativement courte de l'immunité que confère ses vaccins (exigeant d'ores et déjà une troisième dose pour certaines populations) et les mutations du virus rendant ces vaccins un peu moins efficaces, pour ne citer que ceux-là, il y a toutes les chances de voir les mesures de lutte autres que la vaccination (confinement...) garder un intérêt majeur pour plus longtemps qu'on ne le pense. En attendant et en souhaitant que cette troisième vague soit circonscrite très vite, avec tout l'éventail de mesures préventives disponibles et l'expérience nationale et internationale sur ce plan, allons-nous continuer à subir des vagues plus meurtrières que les précédentes ? Cet échec relatif repose toute la question des choix stratégiques dans la lutte contre cette troisième vague, couvrant aussi bien l'axe stratégique de la prise en charge des cas que celui de la prévention.
Le premier axe, actuellement prioritaire dans la lutte contre la Covid-19, fait l'objet de beaucoup d'attention et de grands efforts, conjugués à un élan solidaire multiforme remarquable. La gravité, l'urgence et les besoins sont énormes. Cet axe est au centre de débats, de commentaires et propositions élaborées. Bien que tout avis et suggestion restent toujours d'une brûlante actualité sur cette activité fondamentale, seule à même de réduire dans l'immédiat la mortalité importante, elle ne fera pas l'objet de notre réflexion personnelle dans cet article.
C'est le deuxième axe de lutte, la prévention, qui nous préoccupera dans ce bref commentaire.
Cet axe stratégique n'est pas moins prioritaire que le premier pour au moins une raison fondamentale, c'est son échec qui a conduit à la situation dramatique intenable actuelle. Notre commentaire n'a pas la prétention d'être exhaustif et de répondre à toutes les questions qui se posent au niveau de la prévention, pourtant très nombreuses, mais seulement d'émettre quelques avis sur quelques- unes d'entre elles, qui pourraient contribuer à améliorer la lutte contre cette épidémie. Cet échec se retrouve à tous les niveaux de la prévention. Il est, en particulier, aussi patent au niveau des activités préventives elles-mêmes qu'au niveau de leur suivi et évaluation.
Cette dernière activité, pourtant combien stratégique, parent pauvre dans la plupart des programmes sanitaires algériens, n'a pas bénéficié de l'attention qu'elle mérite dans la lutte contre la Covid-19. Les statistiques et leurs rôles sont le point faible dans presque tous les domaines en Algérie. En fait, l'axe suivi/évaluation est une partie intégrante de tout programme cohérent avec son cadre logique qui, malheureusement n'existe pas en tant que tel contre la Covid-19 dans notre pays. Pourtant, il est impossible de réussir une lutte contre une épidémie sans cette activité.
C'est elle qui peut activement suivre au mieux la situation épidémiologique et permettre au processus décisionnel d'agir aussi vite que possible devant une menace d'aggravation de la situation et éviter les situations malheureuses comme celle que nous vivons actuellement. L'urgence est de réhabiliter cette activité sans quoi nous continuerons à vivre ces vagues au fur et à mesure plus graves et plus mortelles les unes que les autres. Surtout qu'il y a tous les risques de voir l'apparition de nouveaux variants encore plus contagieux et plus virulents. La quasi-absence de cette activité pourrait être efficacement remplacée par la mise en place d'un système de surveillance épidémiologique.
Il y a suffisamment de compétences à travers nos Instituts de santé publique et de statistiques et à travers nos services d'épidémiologie et de médecine préventive universitaires et non universitaires pour ne citer que ceux-là, pour élaborer, en collaboration avec les autres disciplines de santé et autres parties prenantes, un plan de surveillance épidémiologique opérationnel et suffisamment efficace. C'est l'unique voie pour identifier, alerter et répondre rapidement à un risque d'aggravation importante d'un processus épidémique. Ce ne devrait plus être les cris de détresse des professionnels de la santé de terrain ni le désarroi de la population pour faire décider les autorités à prendre de grandes mesures. Il sera déjà trop tard.
Ces compétences qui doivent être placées aux premiers rangs dans la lutte, sur la base d'une analyse objective de la situation, trouveront certainement les méthodes, les critères et les indicateurs les plus pertinents et les plus adaptés au pays compte tenu de toutes les contraintes, pour élaborer cette surveillance, véritable tableau de bord au service des décideurs.
Quitte à les perfectionner au fur et à mesure. Cependant un préalable majeur s'impose. Cette activité ne peut aboutir que si l'interface de la science (scientifiques de la santé) et du politique (autorités politiques) est revisitée. Il ne suffit pas d'élaborer le meilleur plan de surveillance possible, s'il n'y a pas de collaboration étroite voire de consonance profonde entre les deux parties. Si le scientifique doit agir avec le plus de rigueur possible, le politique ne doit et ne peut s'octroyer tous les pouvoirs de décision avec en plus l'absence de toute la transparence nécessaire.
Bien que les aspects sociaux et économiques soient des critères incontournables dans la prise de grandes décisions, il n'en demeure pas moins que ce sont les indicateurs de morbidité, de mortalité, de contagiosité, de virulence et autres saturations des services ou d'épuisement du personnel qui doivent être des priorités au sein de ces critères de décision. L'amélioration de cette interface entre la science et le politique, que n'a pas résolu la multiplicité des structures dédiées à la Covid-19 (comité scientifique de suivi, cellule de suivi des enquêtes épidémiologiques, agence nationale de sécurité sanitaire), dont nous ne comprenons pas tout le bien-fondé de certaines d'entre elles, est devenue urgente et prioritaire. Il ne suffit pas aussi de mettre en place l'un des systèmes de surveillance le plus efficace possible mais aussi et surtout de lui faire correspondre selon les résultats et les informations qu'il fournit régulièrement un plan de riposte qui peut être régulièrement réadapté selon l'évolution et les nouvelles connaissances acquises sur la maladie. Nous sommes convaincus que si le système de surveillance est plus efficace que toutes les compétences sont mobilisées et que la coordination entre tous les acteurs impliqués dans la lutte plus étroite, les décisions de confinement récentes auraient été prises plus tôt, évitant du coup beaucoup de déceptions et de déboires.
Quant aux prérogatives étroites des uns et des autres souvent exprimées par des hauts responsables autour des décisions prises et le bicéphalisme voire le tricéphalisme qu'elles véhiculent, elles ne sont pas, à notre avis, en faveur d'une unité d'action dans ce contexte difficile que nous traversons.


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