Par : Dr ALI KEFAIFI Ingénieur civil des mines et IFP L'été 2021, le peuple algérien a eu à faire face à deux catastrophes majeures : les incendies exceptionnels dans la grande région géologique des Kabylides, qui s'étend de Ténès à Collo, plus un stress hydrique généralisé à tout le territoire national. Mais la Kabylie, qui avait su combattre le colonialisme et son napalm, saura demain relever le défi économique. Ces événements naturels ont mis à nu l'absence totale de politique économique et sociale de l'Etat rentier de ces 20 dernières années. Cet Etat rentier avait parlé de réfléchir à une économie de montagne, mais ses discours publicitaires étaient sans lendemain. Mais à présent, la situation économique est grave, surtout avec les réserves externes qui atteindraient en 2022 le niveau de 3 mois d'importations. Il importe d'élaborer et d'exécuter des mini-plans Marshall, l'un pour la réindustrialisation de la Kabylie et l'autre pour éliminer le stress hydrique sans recourir aux stations de dessalement importées. Le plan Soummam pour la réindustrialisation de la Kabylie pourrait exploiter deux avantages comparatifs considérables, à savoir les ressources humaines formées en grand nombre dans les universités algériennes et étrangères, et les ressources naturelles (chaîne de valeur mine-métal, pétrochimie à base de gaz naturel mais aussi d'hydrogène). Face à ces ressources naturelles, même si inconnues par l'ancienne administration de l'Etat rentier, le plus grand défi réside dans la bureaucratie, d'où le principal challenge de ce nouveau cycle de Kondrachiev : libérer l'économie, maîtriser les nouvelles technologies, développer les chaînes de valeurs de l'économie 4.0 (nouveaux matériaux, mobilité, véhicules électriques ou à hydrogène, intelligence artificielle, etc.). Que ce soit dans la chaîne de valeur mine-métal ou dans la chaîne de valeurs pétrochimiques, le potentiel compatible avec le marché mondial est constitué de plusieurs centaines d'usines, de grandes tailles (CA annuel 1 à 2 milliards de dollars) ou de taille moyenne (100 à 500 millions de dollars/an). À titre d'exemple, nous citerons quatre cas industriels pouvant être implantés de manière optimale en Kabylie. Le premier projet est celui de la valorisation de la zéolithe (ou alumino-silicate), disponible en grandes quantités en Kabylie (Cap Djinet près de Dellys), matière première compétitive pour la production de dizaines de produits, et d'oxygène industriel ou médical, selon un procédé très simple (PSA ou tamis moléculaires) consistant en 3 petites colonnes implantables partout en Algérie. Le deuxième projet est celui de la fabrication de fibres de carbone à partir d'ammoniac et de propylène, un matériau des temps nouveaux (véhicules spatiaux, stockage d'hydrogène gazeux ou liquide dans les véhicules, etc.). Le troisième projet, assis sur Béjaïa et Jijel, vise à faire de cette région la capitale méditerranéenne et africaine des engrais et phytosanitaires, puis de l'hydrogène (bleu puis vert puis pyrolisé). En effet, alors que les responsables de ces secteurs économiques l'ignorent depuis des décennies, l'Algérie est assise depuis des millions d'années sur des gisements colossaux de potasse, qui s'ajouteront aux gisements de phosphates qui vont de Tébessa à Sétif (et pas seulement à Tébessa). En outre, la disponibilité future d'hydrogène d'origine solaire saharienne, et qui pourrait être acheminé vers Béjaïa/Jijel par l'équivalent des gazoducs, permettra la production d'ammoniac, de méthanol (y compris les oléfines par la filère MTO) et de minerai de fer réduit. Ce dernier projet, s'il était réalisé, serait extrêmement rentable et compétitif, et permettrait même de faire oublier les malheureux projets de Sonatrach (engrais de l'Est et minerai de fer de Gara Djebilet). Le quatrième projet, associé à une base de fabrication d'oléfines pétrochimiques (site de Cap Djinet), est susceptible d'alimenter des dizaines d'usines de plasturgie installées dans les sites montagneux, à l'exemple de la Savoie et de la Suisse (plasturgie, micromécanique de précision, etc.). Récupérer 500 millions de m3 d'eau douce évaporés chaque année La nappe du Chott Chergui (Hauts-Plateaux Ouest) comprend un bassin versant du Chott de 40 000 km2, bénéficie de précipitations (280 mm/an et régime averses, géologie sous forme d'artésianisme diffus par canicules de 0,5 à 5 mm sur cuvette endoréique de 2000 km2, évaporation 200-300 mm/an (soit environ 500 million m3 et supérieur aux 450 million m3 des 11 stations de dessalement), dimension du "barrage géologique enterré" 160 km x 24 km, et à une altitude de 900 mètres. Environ 500 millions de m3/an d'eau douce de bonne qualité (résidu sec=1,6g/l dont 0,8 de sel) s'évaporent en pure perte et peuvent être récupérés, selon plusieurs options de développement dont : - la mise en valeur des Hauts-Plateaux, avec des puits à 150 m de profondeur suffisants pour puiser l'eau, et la redistribution urbaine et agricole, arboriculture et forêts (eucalyptus, pins...) ; - l'alimentation des espaces urbains et agricoles du Tell oranais ; dans ce cas, un transfert par ouvrage, enterré à l'amont, permet de profiter de la déclivité naturelle des Hauts-Plateaux vers le Tell, puis vers l'Est, avec un projet de canal des Hauts-Plateaux reliant Chott Chergui.