La ville d'Arzew a frôlé, hier, le chaos. A la mi-journée d'hier, le quartier des Plateaux offrait une image de désolation. Des routes barrées, des feux allumés au milieu de la chaussée, des batailles rangées, entre les forces de l'ordre et des groupes de jeunes, sont déclarées à plusieurs endroits de ce quartier. Devant la pression et les assauts de plusieurs groupes de jeunes, les forces de l'ordre ont usé de bombes lacrymogènes. Les fortes odeurs de gaz lacrymogènes ont indisposé plusieurs personnes, notamment des enfants souffrant déjà des effets pervers et nocifs de la pollution. En contrebas d'oued Zabana, un véhicule Nissan de la BMPJ est balancé dans le ravin et un autre véhicule, juste à quelques mètres du premier, sérieusement endommagé pour ne pas dire saccagé. Des échanges de projectiles et pierres entre des groupes épars de jeunes et les forces de l'ordre, contraintes à se replier aux abords d'oued Zabana ou complètement à la périphérie de la cité, ont émaillé une bonne partie de la journée. En fait, cette colère et cette rage sont provoquées par une décision absurde, semble-t-il venue d'en haut, de démolir toutes les baraques et autres bicoques qui servaient de magasins et de boutiques à de nombreux pères de famille et jeunes chômeurs depuis des années. La semaine dernière, de nombreuses baraques de la cité Ahmed Zabana ont été démolies. Hier, c'était au tour des Plateaux, une concentration urbaine regroupant plusieurs cités-dortoirs (15 000 personnes environ). Tôt le matin, un bulldozer et un camion de la commune accompagnés de quatre agents de l'ordre ont commencé à démolir les premières baraques, celles mitoyennes de la cité 226 Logements. Ce n'est qu'un peu plus loin, à proximité de la cité 1500 Logements, que les nerfs et l'impatience ont commencé à se faire sentir. Certains « commerçants », il faut également le souligner, touchés par cette mesure, ont, depuis plusieurs années, des autorisations d'exploitation dûment signées par les autorités locales de l'époque. D'ailleurs, d'autres ont été installés ou autorisés à exploiter ces bicoques et baraques à l'époque des APC de l'ex-FIS dissous. C'est ainsi que, mus par un sentiment d'injustice et de hogra, certains ont, malgré eux, commencé à démonter par eux-mêmes leur « gagne- pain et seule source de revenus ». Pris par un accès de colère, l'un des « commerçants » n'ayant sans aucun doute pas mesuré la portée symbolique et l'effet de son geste, a balancé sur la chaussée les tôles et les poutres de sa baraque. Une scène qui a provoqué un effet boule de neige, nul ne peut vraiment dire à quelle vitesse la situation a dérapé, mais elle aurait pu l'être encore plus tant la situation est apparue pour de nombreux observateurs et citoyens comme étant « une opération coup-de-poing franchement déplacée ». De nombreux citoyens visiblement mécontents ont carrément fustigé la politique de réconciliation et la charte pour la paix. « C'est cela la charte pour la paix, on pardonne aux tueurs, sanguinaires et aux terroristes et on démolit le seul gagne-pain d'une centaine de pauvres pères de famille. Est-ce cela la réconciliation qu'on prône ? » Démolir à une centaine de pères de famille le seul revenu dont ils disposent pour nourrir leur famille, en plein Ramadhan et à quelques jours de l'Aïd ne peut, honnêtement, que provoquer l'effet inverse. C'est apparemment ce qui s'est passé hier à Arzew où l'opération de démolition a provoqué une émeute citoyenne, avec des relents d'une véritable « intifadha ». En tout état de cause, en fin d'après-midi d'hier, les routes et chaussées de la cité des Plateaux étaient impraticables, barricadées et les feux brûlaient encore. Même les forces de l'ordre, un peu plus discrètes, se sont positionnées aux endroits stratégiques et à la périphérie des cités en attendant, selon une source proche de la sûreté de daïra, des renforts d'Oran. Un peu plus bas, aux environs de la cité 1000 Logements, un camion de la Protection civile se tenait en alerte. Par ailleurs, l'on saura qu'une vingtaine de jeunes a été interpellée en fin d'après-midi. En début de soirée, les émeutes et les échauffourées entre les brigades antiémeute et les jeunes désœuvrés des cités ont repris de plus belle. En effet, la protesta a gagné les cités 1000 Logements et Ahmed Zabana où l'accès principal a été totalement fermé par des blocs de pierre et des amas de détritus qui brûlaient encore à l'heure de la rupture du jeûne. D'ailleurs, c'est à cette heure que l'unique bureau de poste de la cité a été complètement ravagé et mis à sac. Il n'en restait plus que les murs. Même le bulldozer réquisitionné pour l'opération de démolition a été calciné par les émeutiers. Au milieu de ce véritable chaos, somme toute inattendu, l'on parle déjà de deux morts et d'un policier blessé. Une information que nous n'avons pu confirmer car l'accès au siège de la sûreté de daïra nous a été refusé. Il semble que Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale, et Yazid Zerhouni, ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, soient attendus en début de soirée à Arzew pour tenter de désamorcer une situation devenue explosive.