Le colloque international sur l'affaire Ben Barka a conclu, dimanche soir, ses travaux sur la nécessité du "devoir de vérité" indispensable à "la construction de la démocratie au Maroc". De nombreuses associations marocaines des droits de l'homme, dont l'Omdh, l'Amdh et le FVJ (Forum vérité et justice), soutenues par leurs homologues françaises (LDH) et internationale (Fidh), réunies au Sénat français, ont estimé que “l'important n'est pas de chercher à juger les assassins” de Mehdi Ben Barka (enlevé à Paris le 29 octobre à Paris) ou, entre autres cas, du jeune Houcine El Manouzi (enlevé par les services marocains à Tunis le 29 octobre 1972). Pour elles, “le plus important est de dire publiquement la vérité sur l'identité et sur les circonstances de ces assassinats”. Ghita Ben Barka, l'épouse du leader marocain disparu, M'hammed Aouad, parmi ses compagnons de lutte, Marie-Claude Vignaud-Hamchari, présidente de l'association Mémoire, vérité, justice sur les assassinats politiques en France, le secrétaire général de l'Association des peuples afro-asiatiques, des historiens, des juristes, des universitaires, des militants venus de différentes régions du monde dont de nombreux marocains de France et de Belgique, la Palestinienne Leïla Shahid, ont soutenu que “la seule vraie politique est la politique du vrai”, selon une citation de Mehdi Ben Barka. Devoir de vérité Partant de ce principe, le juriste Henri Leclerc de la Ligue française des droits de l'homme (LDH) a estimé que ce devoir de vérité “est important pour la construction de la démocratie au Maroc”. Pour lui, “il n'y a pas de doute, Hassan II a été a l'origine de l'assassinat de Mehdi Ben Barka, mais il faut le dire officiellement”. Le représentant du collectif des associations marocaines des droits humains, M. Mohamed Sabbar, rappelant “les pratiques répressives au Maroc qui ont conduit à environ 50 000 personnes victimes de tortures, assassinées ou forcées à l'exil”, a, de son côté, estimé que “la transition entamée depuis la mort du roi Hassan II reste fragile”. Sur ce dernier point, l'Omdh, qui a appelé “à une mobilisation du camp progressiste marocain”, a fait valoir que les militants des droits humains ont “un devoir de recherche de la vérité, mais aussi un devoir de vigilance”, notamment vis-à-vis “du risque de banalisation des crimes politiques” au Maroc où les équilibres politiques sont, selon un intervenant, “construits sur un système de répression” conjugué “à un système de récupération de l'opposition. Pour l'Omdh, l'instance marocaine Equité et Réconciliation (IER), créée par le palais est une formule partielle et limitée pour la recherche de la vérité”, d'autant plus que parmi ses prérogatives “elle n'a pas le droit de citer nommément les criminels”. Le débat a alors ciblé le statut de l'IER, “un appareil makhzénien qui n'a aucune indépendance d'action”, selon nombre d'intervenants, dont les militants du FVJ ou de “La Voix démocratique”. L'IER devrait prochainement publier son rapport sur l'assassinat de Mehdi Ben Barka. Le colloque international a émis des réserves sur la fiabilité de ce rapport. Un membre de l'IER, Abdelaziz Bennani, a soutenu que cette instance est “extra-judiciaire, et n'a donc pas le droit d'enquêter sur les responsabilités personnelles des crimes politiques”. “Elle ne peut pas se substituer à la justice marocaine”, a-t-il dit. “La justice marocaine n'est pas souveraine” Tous les juristes français et marocains participant à ce débat, dont l'avocat de la famille Ben Barka, Me Maurice Buttin ont souligné que “le problème de fond est précisément le fait que la justice marocaine n'est pas souveraine et ne saurait donc faire aboutir la vérité”. Côté justice française, le colloque international a déploré les verrouillages, sous le couvert de la “raison d'Etat” ou du “secret défense” en France, qui font que même 40 ans après l'enlèvement de Mehdi Ben Barka, “on ne sait rien encore, ni des circonstances réelles de son assassinat ni du lieu où se trouve son corps”. Face à “ce verrouillage” autour du “scandale soulevé par ce crime d'Etat”, un appel “en faveur de l'ouverture des archives” françaises a été lancé par de nombreux historiens, juristes et universitaires. L'appel interpelle les autorités françaises sur “la loi sur les archives de 1979” qui “entrave l'écriture de l'histoire coloniale et aide à la dissimulation des crimes politiques”. “Une nouvelle législation sur les archives s'impose”, soulignent les signataires de l'appel. Bachir Ben Barka a, pour sa part, souligné que “le combat pour la vérité se poursuivra” aussi longtemps que l'affaire restera verrouillée. Le compagnon du disparu, M'hammed Aouad, qui a retracé la vie et l'activité sur le plan international de Mehdi Ben Barka, assassiné au moment où il devait présider la conférence tricontinentale, un forum sur la décolonisation en Afrique, en Asie et en Amérique Latine, finalement tenue sans lui en janvier 1966 à La Havane, a conclu son hommage par une déclaration de l'écrivain Emile Zola affirmant que “la vérité est en marche et rien ne l'arrêtera”. Le colloque international de Paris a présenté l'affaire Ben Barka comme un cas emblématique de l'assassinat politique dans le monde, amenant le président de la Fédération internationale des droits de l'homme (Fidh), Sidiki Kaba, qui a noté que “l'affaire Ben Barka continuera à secouer notre conscience tant que la vérité ne verra pas le jour”, à souligner que “le combat de Mehdi Ben Barka a d'abord été celui du combat contre l'ordre colonial”. “Ce combat reste d'actualité”, a-t-il poursuivi, appelant à “lutter contre la culture de l'oubli”. Sous cet angle, le colloque a ouvert les nombreux cas de “recours à l'assassinat politique sélectif et systématique contre les mouvements de libération”. Le crime politique lié au passé colonial français L'historien Gilles Manceron, membre de la LDH, a expliqué que “le crime politique remonte au passé colonial de la France”. Il a cité divers cas où des militants de l'indépendance de l'Algérie “ont été lâchement assassinés par les services coloniaux”. Il a, par ailleurs, saisi l'occasion du colloque pour dénoncer “la loi scélérate du 23 février 2005” qui glorifie le colonialisme français et a lancé un appel pour son “abrogation systématique”. Le colloque, qui a également traité du forum d'Alger (1976) sur “le droit des peuples à l'autodétermination”, a rendu hommage à la mémoire, notamment, du Camerounais Felix Moumié (assassiné en 1960), Henri Curiel, “militant anti-impérialiste” (1978), la Sud-Africaine Dulcie September (1988), le Guinéen Amilcar Cabral (1973), les Mozambicains Eduardo Mondlane (1969) et Samora Machel, le Congolais Patrice Lumumba (1961), le Ghanéen Kwame Nkrumah, les Palestiniens Mahmoud al Hamchari (1972), Muhamed Yusif al Najjara (1973), Abou Iyad (1991), Ghassan Kanifani (1972), Abu Ali Mustafa, Fathi Shiqaqi, (1995) et Cheikh Yassine (2004) qui “ont été tués, car ils menaçaient le pouvoir colonial ou la perpétuation du contrôle des ressources économiques” par les forces d'occupation. “Pendant la dramatique période de la décolonisation de l'Afrique, aucun autre pays du continent n'a incarné le tiers-monde autant que l'Algérie. Un symbole d'autant plus fort que les souffrances endurées par le peuple algérien ont été immenses”, a souligné, pour sa part, la journaliste britannique Victoria Brittain, rappelant que les Français s'en sont pris au FLN et aux populations civiles qui ont été massacrées par milliers. R.I./Agences