Un pantin peut-il rêver ? C'est la question que pose l'auteure El-Bahdja Sari dans ce roman de 257 pages, paru aux éditions Dalimen. L'héroïne du Pantin rêveur, Bouba, une jeune fille de la société traditionnelle algérienne, est davantage considérée comme un objet servant à perpétuer les traditions que comme une personne dotée du droit de choisir les clés de son existence et de son destin. Bouba est issue d'une famille rurale des Aurès ; elle doit se soumettre aux règles imposées à ses "congénères". Pourtant, elle rêve de poursuivre des études et de s'accomplir professionnellement, alors que l'accès à l'école lui est refusées par son père. Car elle se doit de continuer le périple de ses aînées et se former aux tâches ménagères et à celles du foyer. Fille unique d'une fratrie de trois garçons, elle ressent très tôt la discrimination qu'impose la société patriarcale aux femmes. Dès lors, ses nuits se peuplent de fantasmes de liberté et d'émancipation, sauf que mal préparée aux vicissitudes de la vie, elle fait la rencontre d'un jeune homme qui, profitant de sa candeur, l'entraîne dans le cauchemar d'un réseau de prostitution après l'avoir convaincue de fuguer à ses côtés vers la capitale. Elle ressort de cette descente aux enfers brisée, après avoir subi toutes les humiliations et toute l'horreur de ce trafic humain. Bouba saura sortir de ce bourbier grâce à un faisceau de solidarité qui lui permet de renouer les fils d'une existence que l'errance et la souffrance avaient désarticulés. Avec ce primo-roman, El-Bahdja Sari tente de jeter un regard sur la détresse et les sacrifices de tant de femmes dans une société ballotée entre modernité et conservatisme ; elle dénonce l'ambiguïté d'un discours à la fois paternaliste et dominateur qui nourrit les frustrations et interdit une véritable émancipation des femmes et de la société. Toutefois, l'auteure n'arrive pas à aller au bout de sa démarche, son écriture trop linéaire reste éloignée de l'étoffe littéraire nécessaire à son propos. Le choix du "je" pour la narration tempère, certes, la faiblesse du style, mais les personnages du roman manquent d'épaisseur et de complexité... nous sommes presque dans la caricature des rôles. À travers l'histoire de Bouba, l'auteure continue, inconsciemment ou pas, à alimenter la dualité d'un message à la fois nostalgique d'une société rurale que les liens tribaux protègent — les premières pages sont une véritable ode aux rituels agraires et sociaux ancestraux — et ce désir d'émancipation et de modernité que la ville et le monde contemporain miroitent. Un désir qui doit accepter la rupture avec l'ordre ancien. Faut-il voir dans le destin émouvant et douloureux de Bouba un plaidoyer pour l'émancipation féminine ou juste un appel à la tolérance et à la bienveillance envers les "brebis égarées" et celles qui osent briser les tabous ? Quoiqu'il en soit, le Pantin rêveur reste un bon livre à lire un après-midi de pluie.