Depuis 2014, les morceaux d'Abderraouf Djeffal figurent dans les bandes annonces (BA) d'une soixantaine de blockbusters (Maleficent : Mistress of Evil ; Dark Phoenix ; Terminator : Dark Fat), de jeux vidéo et de séries à succès (The Handmaid's Tale ; Stranger Things ; Star Trek : Discovery ; Narcos...). Abderraouf Djeffel alias Raouf Rectobiasi est musicien et compositeur. Ce nom est peut-être méconnu encore de bon nombre d'artistes de la scène culturelle algérienne, mais ce jeune de 31 ans finira par faire parler de lui. Car il fait partie de ces talents autodidactes, qui se sont construits seuls, pour atteindre leurs objectifs. Son arme : la persévérance, la volonté mais surtout la passion. Et cette niaque a permis à Raouf d'atteindre les étoiles ; celles d'Hollywood. Même s'il n'a pas encore palpé de ses mains ce rêve américain, le compositeur escompte réaliser ses rêves, et ce, en donnant le meilleur de lui-même. D'ailleurs, il s'est déjà frayé un chemin et non pas des moindres ! Depuis 2014, ses compositions sont placées sur les trailers de jeux vidéo, de séries (The Handmaid's Tale ; Stranger Things ; Star Trek : Discovery ; Narcos...). Et de gros blockbusters tels que Dune ; Maleficent : Mistress of Evil ; Dark Phoenix ; Terminator : Dark Fate ; John Wick 3 ; Venom ; Captain Marvel... et la liste est encore longue. Avant de donner plus de détails sur son parcours professionnel, il est intéressant de faire la lumière sur cette personnalité singulière, qui travaille depuis Tlemcen avec de grosses boîtes américaines. Loin de la biographie traditionnelle, de l'enfant ayant baigné dans une famille d'artistes, le petit Abderraouf était accro aux jeux vidéo. "J'en jouais énormément et j'ai surtout été marqué par les musiques que j'écoutais, comme celles de Mario, Super Street Fighter 2 ou encore Zelda", confie-t-il. Plus tard, il s'intéresse à d'autres jeux tels que Metal Gear, Assassin's Creed, Prince of Persia, Call of Duty... "Les jeux étaient loin d'être les seuls à me faire découvrir ce style de musique. Je me souviens de films avec des BO (bande originale, ndlr), iconique comme The Lion King, Gladiator, Lawrence of Arabia, Braveheart, Star Wars, Indiana Jones..." Autres influences qui s'ajoutent à cette liste, des dessins animés cultes, à l'instar de Dragon Ball "qui ont joué un grand rôle sur le 'moi' qui est devenu passionné par la composition musicale", se remémore-t-il. Se qualifiant de "grand rêveur", à 18 ans Raouf décide de franchir le pas, en se mettant à la musique. À cet effet, il vend sont téléphone portable pour s'acheter sa première guitare électrique. "À l'université où j'étudiais la traduction, j'ai joué avec quelques groupes en tant que guitariste lead. Si la majorité se concentrait sur la reprise de morceaux, je proposais de nouvelles mélodies même si je n'étais qu'un débutant", raconte-t-il. Des compositions qui possédaient "une certaine touche cinématique née grâce à mes inspirations durant mon enfance". Cette expérience fait naître en lui de nouvelles perspectives : devenir compositeur de musique de films. "Pour y arriver, j'ai décidé d'apprendre cet art, de foncer, même si je ne connaissais absolument rien de ce monde. J'étais aveuglé par mon ambition !", déclare Rectobiasi. Et cette ambition a fini par payer ! "Durant mes études en master, j'ai découvert la musique de trailers, qui essentiellement consiste à faire en quelques minutes ce que la BO fait en quelques heures", explique Raouf. À cet effet, il réalise des recherches pour savoir s'"il y a un Algérien résidant en Algérie, qui compose la musique des bandes annonces hollywoodiennes". À sa "surprise", il découvre qu'aucun Algérien ne travaille dans ce secteur, et c'est à ce moment-là qu'est né ce rêve "impossible". Alors, il s'est dit qu'"il faut persévérer pour marquer l'histoire et être le premier à le faire, et comme vous pouvez l'imaginer, ça sonnait un peu absurde à l'oreille de la majorité des gens". Nul n'est prophète en son pays ! Nous sommes en 2013, âgé seulement de 23 ans, Abderraouf Djeffel tente sa chance en Algérie, en contactant deux agences de publicité. Mais comme nul n'est prophète en son pays, ces deux agences n'ont jamais daigné lui répondre. Suite à cette mésaventure, "je me suis décidé à envoyer par mail mes démos à des distributeurs de ce type de musique. À ma grande surprise, j'ai reçu des réponses de deux ou trois d'entre eux, qui ont trouvé que j'avais du potentiel", se souvient-il. Ainsi, ces distributeurs basés à Los Angeles lui ont donné une chance pour collaborer avec eux. Une année plus tard, il concrétise son rêve à 24 ans ! "J'ai réalisé ce rêve qui me paraissait impossible, et ce, en ayant mon tout premier placement sur le projet Ascension de la chaîne SyFy." Et cerise sur le gâteau, en 2015, il est lauréat du "Clio Entertainment Award Bronze Winner", un évènement annuel qui consacre les trailers et les pubs à LA. Une consécration qui le mènera sur d'autres projets, pour ne pas dire de gros succès internationaux, tel que Dune (sorti cette année), Blade Runner 2049 ou encore Pacific Rim : Uprising. Aussi sur les jeux Age of empire 4, Gears of war... Concernant le processus de composition pour les bandes annonces de film, Raouf souligne qu'il "compose très rarement à l'image. La pratique standard est de composer selon les notes/briefs reçues par les distributeurs de musique pour les trailers. Ou alors, je compose des morceaux selon ma vision artistique. Ce morceau devrait être idéalement adéquat avec le son cinématique recherché par les boîtes/agences de publicité, qui vont par la suite créer ces trailers et TV spots". Quant aux jeux vidéo, le musicien informe avoir "composé de la musique, qui a été utilisée sur des trailers de jeux vidéo, et non pas sur la BO de ces jeux, même si j'ai eu la chance de composer de la musique originale et personnalisée (custom requests) pour certains titres". "Actuellement, je suis en train de travailler sur la BO d'un jeu développé par une compagnie indépendante basée en Allemagne. Je ne suis pas encore arrivé au stade des jeux classés AAA, pour plein de raisons de logistique. Mais il faut bien commencer quelque part et foncer." Un métier difficile à exercer en Algérie À propos de cette collaboration avec les boîtes américaines, Raouf signale que toutes les démarches sont effectuées à travers le net. "On discute souvent des projets ; des concepts musicaux à réaliser au cours de l'année, pour certaines campagnes. À cet effet, soit je compose de la musique basée sur les notes des distributeurs avec qui je travaille, ou alors je personnalise des morceaux selon la demande du client qui travaille sur une bande annonce d'un projet précis." "Enfin, je compose un ou plusieurs albums avec ma propre vision, sur comment tel ou tel projet pourrait utiliser ma musique dans sa campagne publicitaire." Cette méthode est, selon Raouf, extrêmement risquée, car il lui est arrivé de "composer des morceaux qui n'ont jamais été utilisés pour diverses raisons, et d'autres qui ont été utilisés 2, 3, 5 ans après leur sortie. C'est le risque du métier et rien n'est certain !". Pour cet artiste autodidacte, il n'est nullement facile d'exercer ce métier, car il faut se "débrouiller" pour toujours présenter la meilleure qualité possible, et ce, avec les standards hollywoodiens. "Mais aussi, il faut être souple selon les feedback reçus, et rapide quand il s'agit de fournir les fichiers demandés, qui sont assez volumineux." À ce propos, il regrette que l'obstacle auquel il fait notamment face en Algérie, soit le "problème de la connexion" : "L'instabilité, les coupures et autres... m'ont fait perdre des opportunités. Quand des clients font une demande urgente, pour un projet sur lequel ils bossent, ils n'accordent en général que 24 heures à 48 heures. Et pour envoyer les stems (pistes séparées des instruments du morceau par types), et que cela ne passe pas à cause de la connexion, ça laisse un goût amer." Autre souci que rencontre Rectobiasi est le payement en devise : "Je les perçois automatiquement en dinar algérien. Selon la cour bancaire, sous prétexte qu'on soit des prestataires de service et résidant en Algérie, on reçoit notre argent converti. J'aimerais bien que les autorités règlent ce problème, car ce n'est ni logique ni juste." Outre les trailers, ce jeune talent prometteur ambitionne d'aller encore plus loin, et ce, en concrétisant l'un de ses plus vieux rêves : composer des bandes originales de films, l'ayant longtemps inspiré dans le domaine de la composition cinématique. Même si cela "nécessite beaucoup de temps, d'énergie et d'expérience". Quant à l'idée de créer des choses en Algérie, Abderraouf Djeffel a été dernièrement approché pour un éventuel projet, mais rien n'a été encore confirmé !