“lawziâa” pour certains, “tawizet” ou “timechrat” pour d'autres, cette tradition, jadis bien connue en Kabylie, commence à refaire surface dans de nombreux villages haut perchés du Djurdjura comme dans certains quartiers de la ville de Tizi Ouzou. Il est vrai que cette coutume, qui permet de récolter de grosses sommes d'argent pour sacrifier des bêtes et distribuer ainsi des chapelets de viande aux familles nanties mais aussi aux démunis, existe encore dans certaines contrées de Kabylie mais elle a pratiquement disparu dans les grandes villes où l'individualisme a carrément pris le pas sur le mouvement associatif. Mais voilà qu'à Tizi Ouzou, chef-lieu de wilaya, le quartier populeux de Tala-Allam est sorti de sa léthargie pour lutter contre l'oubli et perpétuer cette tradition ancestrale qu'est lawziâa. Au moment où d'anciens quartiers bien connus de la Haute-Ville, tels que Aïn-Hallouf, Ihamouthen, Lala-Saïda , Zellal ou Aïn-Soltane ont pratiquement mis en veilleuse cette pratique séculaire faute d'argent et de bénévoles, voilà que les citoyens de Tala-Allam ont décidé de relever de gros défis pour replanter un joli décor dans la cité et raviver ainsi la flamme du passé où la solidarité n'était pas un vain mot. C'est qu'en ce premier jour de l'Aïd El Fitr, il y avait un air de fête à Tala Allam où adultes, enfants et personnes âgées se sont allègrement côtoyés, l'espace d'une journée, pour vivre une journée de ouziâa pas comme les autres. Ornés de ballons multicolores et de petits drapeaux aux couleurs nationales, le quartier de Tala Allam offrait aux passants et aux curieux un air de kermesse à vous faire revivre le bon vieux temps. C'est que le comité de quartier, composé de jeunes dynamiques avait pris le pari de réussir un tel rendez-vous fait de solennité et de convivialité. Autour d'une foule bigarrée occupée à répartir équitablement les chapelets de viande découpée soigneusement après le sacrifice de beaux taurillons, les jeunes bénévoles s'affairaient à régler les menus détails devant les yeux pétillants de fierté et de sagesse des anciens du terroir. “Cela fait du bien de voir tous ces jeunes perpétuer une telle tradition et prendre le relais des personnes âgées”, nous dira ammi Ali avec beaucoup de fierté et de nostalgie. “C'est la troisième année que nous organisons lawziâa et nous sommes fiers d'avoir renoué avec l'histoire que nous ont léguée nos parents et nos arrière-grands-parents”, enchaînera Mehdi, le dynamique président du comité de quartier littéralement assailli par une nuée de bambins venus pendre aussi leurs cadeaux. “Grâce à tout l'argent collecté, nous avons pu sacrifier des bêtes pour permettre même aux pauvres du quartier d'avoir leur part de viande sans payer le moindre sou alors que tous les enfants ont aussi fait la fête puisqu'ils ont eu droit à des cadeaux, bonbons, jouets et livres de contes”, dira encore Mehdi entre deux sollicitations, car l'organisation de tawzit n'est pas chose aisée. “Certes, ce n'est pas facile de réaliser ce travail, mais avec beaucoup de volonté et de sacrifice, l'on arrive à satisfaire tout le monde”, dira Ahcène, un autre membre du comité qui soulignera, notamment, le caractère convivial d'une telle rencontre. “Regardez tous ces cousins et ces voisins qui s'embrassent et se souhaitent la bonne fête tout en sirotant un café ou un thé en attendant de rentrer à la maison avec un beau chapelet de viande comme le faisaient jadis nos ancêtres”, dira encore Ahcène avec le sentiment du devoir accompli. C'est que, à Tala Allam, comme un peu partout en Kabylie où les us et coutumes ont encore gardé toute leur saveur et leur nostalgie, il existe encore des hommes follement amoureux de leur bled et profondément attachés à leurs racines. Mohamed HAOUCHINE