“Les délégués emprisonnés ont été libérés une première fois mais ont refusé le dialogue”. C'est ainsi que le ministre de la Justice justifie l'enfermement des membres du mouvement citoyen actuellement incarcérés. De l'aveu même du garde des Sceaux, le véritable chef d'inculpation est donc le refus de dialogue avec le pouvoir. À part cela, il refuse d'admettre qu'il s'agit là d'une détention politique. En guise de réponse à la question orale d'un député portant sur les éventuelles mesures d'apaisement à l'endroit du mouvement des archs, Mohamed Charfi a réagi par un véritable chantage : la libération des détenus est “tributaire de la grâce qui est une prérogative présidentielle”, a-t-il déclaré. Or, les prévenus en question n'ont pas encore été jugés et le privilège de grâce n'est pas opérant dans ce cas-là. À moins que le ministre ne fasse, instinctivement ou par dangereuse assimilation, allusion à “la grâce amnistiante”, dédiée aux seuls terroristes. Au demeurant, et puisque, comme l'affirme le ministre, “la justice est souveraine” et “l'Etat ne peut intervenir pour influer sur son cours”, pourquoi s'est-il engagé à commenter une procédure en cours ? Plus qu'un point de vue d'ailleurs, il a anticipé sur le résultat de l'instruction encore en cours : “Les personnes ayant fait l'objet de poursuites judiciaires en Kabylie ont enfreint la loi.” Et la cause est entendue. Voici l'acte d'accusation rédigé, il reste à condamner. Si ceci n'est pas une intervention de l'Etat dans le cours de la justice, qu'est-ce que cela devrait être ? Outre le fait que le propos sur l'indépendance de la justice en Algérie arracherait un sourire au plus naïf des quidams, pourquoi le ministre s'est-il cru obligé de répondre à une question politique par des observations sur un procès qui n'a pas encore abouti ? Il y a là une flagrante reconnaissance de la gestion politique des procès des délégués du mouvement. L'aveu ne nous apprend rien, mais il a le mérite de confirmer officiellement une évidence. Je pense bien que le ministre n'est pour rien dans les procès politiques qui se déroulent en Kabylie pour la simple raison que ceux-ci n'ont rien à voir avec la fonction de justice, laquelle ne fait que prêter ses attributs coercitifs au pouvoir politique qui l'asservit comme il asservit le pays entier. Pour preuve, la libération politique des délégués à la veille des élections locales a été négociée entre un parti politique et un autre ministère. La Justice ne fait que rédiger les levées d'écrou comme elle aura rédigé, plus tôt, les billets d'écrou. Charfi en évoquant, à l'Assemblée nationale, le refus de dialogue de ces délégués préalablement libérés accrédite le soupçon sur le rôle politique de l'institution judiciaire. Si ces délégués ont été libérés pour négocier et arrêtés à nouveau parce qu'ils refusent de négocier avec les autorités, que fait la loi dans une histoire de dialogue politique ? Elle a donc forcément été convoquée pour participer à la pression multiforme contre le mouvement citoyen. Et c'est ce que démontre l'intervention du ministre devant des députés qui ne s'émeuvent guère de ce qu'on leur confisque leur fonction politique au profit d'instances exécutives. De souveraineté, dit-on. Le terme n'a jamais eu autant de sens que dans notre système. M. H.