Résumé : Mordjana rend visite à ses grands-parents. Sa grand-mère comprend tout de suite que le bonheur de sa petite-fille n'est pas complet. Il lui manque le fruit de cet amour partagé avec son mari. La vieille dame a tout deviné. Elle aussi avait aimé et avait été aimée. Mordjana n'en revient pas d'entendre ces confidences. La vieille femme lui raconte un bout de sa jeunesse. Elle soupire. - J'ai moi aussi aimé un homme qui me le rendait bien et qui voulait faire de moi la compagne de sa vie. Il était un simple forgeron et gagnait honnêtement son pain. Pour démontrer sa bonne foi et la sincérité de son amour, il vint demander ma main. Mais c'était compter sans mon père et mon grand-père qui le rabrouèrent tel un moins que rien, en le mettant en garde contre toute tentative susceptible de le rapprocher de moi ou de la famille. Mon aimé opta alors pour la solution qui lui parut la plus logique pour nous deux. N'ayant plus ses parents ni aucune autre attache dans notre village, il disparut un matin sans laisser de trace. Personne ne l'a plus jamais revu. Des années plus tard, un marchand ambulant nous apprendra qu'il s'était installé en ville et était devenu un grand commerçant. Moi, je venais de me marier avec ton grand-père et j'étais enceinte de ton père. Un jour, voulant me faire plaisir, Ameur, qui avait des choses à régler, me proposa de l'accompagner en ville. J'en fus heureuse, car je voulais préparer le trousseau de mon bébé et acheter les plus belles choses que je pouvais trouver sur le marché. Nous nous sommes promenés toute la journée et avons visité les quartiers les plus en vue. Vers le milieu l'après-midi, alors que nous nous apprêtions à rentrer, j'ai remarqué des foulards colorés dans la vitrine d'un magasin et me suis arrêtée un moment pour m'en choisir un. Ameur me remit quelques pièces et m'exhorta à entrer dans la boutique pour faire le meilleur choix. Ce fut au moment où je m'approchais de la caisse qu'une décharge électrique secoua mon corps. Je reconnus Mahboub, mon ancien prétendant et amoureux. Hébété, il ouvrit de son côté des yeux hagards. Nous nous sommes regardés quelques minutes sans prononcer un mot. Puis je lui tendis les pièces pour payer mon foulard. Alors il repoussa délicatement ma main et m'offrit ce foulard que je garde jusqu'à ce jour jalousement dans mes affaires. Aucun son n'était sorti de nos lèvres, mais nos âmes s'étaient retrouvées unies par un même élan. L'élan de l'amour. La vieille femme se tait. Ses lèvres sèches et ses yeux pétillants semblent vouloir dévoiler d'autres secrets enfouis dans les dédales du temps. Mais le silence retombe et Mordjana l'interrompt : - C'est incroyable. Je n'aurais jamais cru que tu pouvais... Elle ne peut continuer. Mais sa grand-mère poursuit : - Que je pouvais tomber amoureuse et avoir une relation. Elle sourit et pousse un long soupir. - Depuis que l'humanité existe, l'amour a existé. Aucun être normalement constitué n'a été épargné par ce sentiment, ma fille. - Et grand-père ? Tu l'as aimé ? - Bien sûr. Avec le temps, j'ai appris à le respecter, puis à l'aimer. Ton grand-père est un homme bon. Il est sage et ne cherche qu'à aider son prochain. J'ai fini par l'aimer pour son grand cœur et ses qualités. Il est généreux et ne connaît pas l'égoïsme. Nous avons fait un si long chemin ensemble. Elle passe une main sur ses yeux larmoyants et revient vers sa petite-fille : -Tu aimes Samir, n'est-ce pas ? - L'amour est la moindre des choses que je pourrais ressentir pour lui, grand-mère. Il a fait tellement de choses pour moi que je ne sais pas si un jour je saurais le rendre assez heureux pour lui démontrer ma reconnaissance. - Et pour cela, tu veux lui donner un enfant et le combler. Mordjana soupire tristement. - J'aimerais tant lui donner ce cadeau divin. - Que se passe-t-il ? Tu n'arrives pas à tomber enceinte ? - Hélas ! Non. J'ai tout essayé : les virées chez les gynécologues, les traitements, les potions, la médecine traditionnelle. Sa grand-mère la regarde un moment puis lance : - Depuis combien de temps avais-tu compris que tu ne pouvais pas enfanter ? - Heu... depuis plus d'une année. Au début de notre mariage, j'étais plutôt préoccupée par mes contraintes, et surtout par les opérations que je devais subir sur ma joue. Puis j'ai entamé mes formations, et je n'ai plus pensé à quoi que ce soit d'autre. Cependant, je n'ai jamais eu recours aux contraceptifs, pour éviter une éventuelle grossesse. Ce n'est que lorsque j'ai commencé à me stabiliser que je me suis rendu compte de mon désir d'avoir un enfant. - Et Samir, quelle est son opinion à ce sujet ? - Nous n'avons jamais abordé ce problème sérieusement. Je sais qu'il adore les enfants et rêve d'avoir les siens. - Les médecins sont-ils optimistes à ton sujet ? - Ils sont tous formels : je n'ai aucune anomalie anatomique qui m'empêcherait de tomber enceinte. Je devrais prendre mon mal en patience et attendre la clémence de la nature. Sa grand-mère hoche la tête. - Tout vient à point à ceux qui savent attendre et prendre leur mal en patience. Elle lui tapote la joue. - Qui aurait donc cru que ta vilaine tache de vin allait disparaître à jamais de ce beau visage ? - C'est ce que je ne cesse de me répéter pour me donner le courage d'espérer en un avenir meilleur. Hasna ma belle-mère ne rate pas une occasion pour m'humilier et me traiter de poule stérile.
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