Résumé : C'est le grand départ. Des coups de klaxon et des youyous annoncent à la jeune fille que sa belle-famille est là. Maroua, sa cadette, la serre dans ses bras en pleurant. Elle va manquer à la famille. Mordjana la console et lui recommande d'être plus patiente dans son ménage, qui bat de l'aile, et surtout de ne pas faire autant d'enfants que leur mère. Un coup à la porte de la chambre mettra fin à leurs palabres. La belle-mère et la belle-sœur de Mordjana s'introduisent dans la chambre. Cette dernière baisse les yeux pudiquement, alors que sa mère lance d'une voix gaie : - Mordjana, c'est déjà le grand départ. Viens saluer ta future famille. La jeune fille s'approche des deux femmes et les embrasse. Sa belle-mère lui relève le menton et la regarde dans les yeux. - Samir ne te connaît pas encore. Il ne t'a jamais vue. Mais je lui ai dit que tu portes une tache disgracieuse sur la joue. Il m'a demandé si c'était une brûlure. Mordjana rougit jusqu'aux racines de ses cheveux. Quand ces deux femmes sont venues demander sa main, elle n'avait pas voulu ôter son foulard. Bien au contraire, elle a même rabattu un pan sur sa "maudite" joue. Non pas par crainte d'être "refoulée", mais plutôt pour éviter les remarques désobligeantes. Mais c'était compter sans la perspicacité de la vieille femme. Cette dernière s'était levée et s'était approchée d'elle pour lui ôter son foulard. Mordjana avait baissé la tête. Mais cela n'avait pas empêché sa future belle-mère de lui relever le menton, comme elle le faisait justement aujourd'hui, pour contempler sa joue. Elle avait ensuite hoché la tête en lançant un regard plein de sous-entendus à sa fille : "On nous a vendu une marchandise avariée, Malika (Mederha)" Malika, sa belle-sœur, plus indulgente, avait alors rétorqué : - La beauté physique n'est pas l'essentiel chez une femme. Mordjana me semble plutôt bien. Malgré cette "tache", je la trouve assez mignonne. - Tu as pensé à ton frère ? - Bien sûr, maman. J'ai longuement discuté avec lui à ce sujet. Je sens que Mordjana le rendra heureux et sera aussi une bonne maman pour ses enfants. On nous a bien dit que c'est elle qui avait élevé ses nombreux frères et sœurs. Sa mère avait secoué la tête d'un air navré. - Pauvre Samir ! Je voulais le meilleur pour lui, et voilà que ton père nous engage avec ces gens que nous ne connaissons même pas. Silencieuse jusque-là, la mère de Mordjana avait jugé opportun d'intervenir : - À vrai dire, Mordjana a déjà reçu plusieurs demandes en mariage. Des prétendants s'étaient bousculés à notre porte. Mais son père a préféré faire les choses lui-même. N'est-ce pas un ami à ton mari Aïssa ? - Oui. Qui s'assemble se ressemble. Aïssa et Ahmed sont tous les deux des adeptes de Bacchus. Lors d'une partie de poker, Aïssa avait proposé à ton mari Ahmed de marier leurs deux enfants. - Très bien. Je vois où tu veux en venir. Mais votre fils Samir aurait pu s'y opposer, contrairement à notre fille Mordjana, qui ne pouvait passer outre les décisions de son paternel. Nous non plus ne connaissons rien de ce garçon ni de votre famille. La vieille Hasna avait alors hoché la tête en soupirant. - Oui. Nous ne nous connaissons pas, et nos enfants non plus. Moi je crois au destin, et puis, comme tu l'as si bien dit, moi non plus, je ne pouvais m'opposer à la décision de mon ivrogne de mari, alors que les dés étaient déjà jetés. Il ne nous reste plus qu'à officialiser l'union de ces petits. Tremblante, Mordjana avait servi le café et rapproché les assiettes de gâteaux. Elle s'était donné tant de peine ces derniers temps. Sa mère, occupée à sa couture, l'avait exhortée à préparer des gâteaux traditionnels afin de démontrer qu'elle n'était pas une moins que rien. Car Saléha avait peur pour sa fille. La tache de vin qui "orne" sa joue ne pouvait jouer en sa faveur. Seules quelques exceptions pouvaient faire oublier cette tare aux yeux des gens. Mordjana a des doigts d'or. Elle sait tout faire et, en sus, elle est instruite. Un dilemme dans cette société de mâles qui n'est pas trop en faveur des femmes libres, mais respecte tout de même celles qui ont fréquenté l'école. Saléha mourrait d'envie de connaître son futur gendre. Mais ce dernier ne s'était jamais présenté. Mordjana, elle, s'en fichait. Elle savait qu'elle allait peut-être avoir une mauvaise surprise elle aussi, mais acceptait son destin. Elle se mariait. Elle quittait définitivement sa famille. Les petits allaient lui manquer. Mais que pouvait-elle faire contre la décision de son père qui, sans prendre compte de son avis, l'avait "bradée" pour sauver la face devant une partie de poker.
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