Il a demandé aux magistrats d'exécuter les lois qui en découleront avec célérité, et en conformité avec son esprit. Le retard pris dans l'application de la charte sur la paix et la réconciliation nationale — plébiscitée par le peuple, le 29 septembre dernier —, et les doutes que cet ajournement a suscité auprès des médias, notamment sur l'existence de divergences au sommet de l'état, quant à la pertinente démarche présidentielle, ont conduit Abdelaziz Bouteflika, hier, à effectuer une brève mise au point. “Les dispositions juridiques et les mesures seront appliquées indubitablement”, a-t-il attesté, dans le discours qu'il a prononcé lors de la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire, au siège de la Cour suprême. Cette allégation figure parmi les rares digressions ayant émaillé son allocution. Attendu justement sur l'intitulé et le contenu des lois, le chef de l'état n'en a soufflé mot. Il a laissé le soin aux juges de les appliquer avec célérité et en conformité avec l'esprit de la charte. Pour sa part, en tant que premier magistrat du pays, il s'est employé à dresser le bilan de la réforme de la justice, esquissée au début de son premier mandat. Reconnaissant que de grands progrès ont été accomplis, surtout au plan législatif, avec l'émission de plus d'une vingtaine de lois dont le nouveau code portant réorganisation des établissements pénitentiaires ; il a expressément enjoint aux juges la nécessité d'être rigoureux et déterminés dans leur mission, surtout dans la lutte contre le banditisme et la corruption. Comme à l'accoutumée, l'auditoire du président était constitué de l'équipe gouvernementale, de magistrats (dont les présidents de la Cour suprême et du Conseil d'état), des représentants du barreau, à leur tête le bâtonnier ainsi que des représentants de notaires et du personnel des greffes. Application de la charte : les magistrats au travail. Les textes d'application de la charte sont-ils prêts ou pas ? Si M. Bouteflika ne répond pas à cette question, il identifie leurs exécutants parmi les magistrats. “C'est à l'institution judiciaire que revient l'honneur d'avoir à mettre en œuvre l'essentiel des mesures découlant de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, approuvée souverainement par le peuple dans son écrasante majorité, a-t-il soutenu. Les juges auront à accomplir ce travail avec “célérité et dans le respect de l'esprit de la charte”. Le chef de l'état y veille scrupuleusement. Car à son avis, de la contribution des magistrats au rétablissement de la paix et de la sécurité ainsi que de l'accomplissement des réformes dans le secteur de la justice, dépendra plus tard leur aptitude “à accomplir leur mission constitutionnelle de protection des droits des libertés des citoyens”. Le président les exhorte, entre autres, à la matérialisation de la culture des droits de l'Homme, dont les droits individuels et collectifs, civils, politiques, sociaux… etc. Par ailleurs, il exige de l'institution judiciaire de garantir “la transparence dans le travail des magistrats et la facilitation du recours des justiciables aux tribunaux”. De son côté, il estime avoir mis en œuvre tous les moyens pour permettre aux professionnels de la justice d'accomplir leur tâche, en toute liberté et avec professionnalisme. Bilan des réformes : l'indépendance des juges en point de mire. Abdelaziz Bouteflika inscrit les amendements apportés aux statuts des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature, au cœur de la réforme qu'il a menée dans le secteur de la justice depuis son accession au pouvoir en 1999. “Le nouveau statut des magistrats les préserve de toutes les formes de pression étrangère et leur garantit des conditions socioprofessionnelles en adéquation avec leur rang”, a-t-il noté. La réorganisation du Conseil supérieur de la magistrature est inspirée par un objectif identique, préserver l'indépendance des juges. Afin de ne pas les encombrer, le président rappelle avoir instruit le gouvernement de doubler les effectifs d'ici 2009. En retour, les magistrats doivent prouver leur efficacité. Tout d'abord, ils sont en devoir de veiller à l'exécution des décisions de justice. “J'insiste sur la nécessité d'appliquer la loi et l'exécution rigoureuse des jugements”, a-t-il martelé. à cet effet, il demande au secteur de la justice de prendre contact avec d'autres institutions pour prendre les dispositions nécessaires et trouver les outils garantissant l'exécution des sentences. Lutte contre la corruption : “La culture de l'état de droit n'est pas encore ancrée dans notre pays”. Abdelaziz ne rate aucune occasion pour évoquer le problème de la corruption tant elle gangrène l'économie algérienne et a infiltré tous les rouages de l'état. Hier encore, il demandait aux magistrats “d'être fermes avec les auteurs de telles pratiques”. “Les dépassements dont ils se rendraient coupables constituent une menace pour la paix sociale car pouvant être à l'origine du mécontentement du citoyen, le poussent au désespoir et nuisent à la relation de confiance qui doit exister entre celui-ci et l'état”, fait observer le premier magistrat du pays. Accablé par la dure réalité, il a été contraint de reconnaître que “la culture de l'état de droit n'est pas encore ancrée dans notre pays”. “J'entends par culture du droit, l'intégrité qui doit caractériser les responsables, quel que soit leur degré de responsabilité, de manière à ne pas utiliser leur poste à des fins personnelles au détriment de l'intérêt général ou dans le but d'obtenir des privilèges non mérités, voire couvrir, par leur influence, des actes punis par la loi comme l'accaparement des deniers publics et des biens de l'état.” Le rôle des juges dans la répression des corrompus est salutaire à plus d'un titre. Selon M. Bouteflika, il permet d'instaurer la transparence et la rigueur dans l'activité économique, favorable à l'investissement étranger et compatible avec les clauses de l'accord d'association avec l'Union européenne et les termes d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce. Intra-muros, la réussite de la mise en œuvre du plan de relance économique est tributaire de l'assainissement des pratiques économiques et commerciales. à ce propos, le président appelle les autorités à une maîtrise stricte des outils de contrôle des marchés publics. Il s'est par ailleurs fait l'écho d'une seconde mise au point en clamant haut et fort que “le plan de relance a été lancé avec puissance”. Le banditisme, une autre forme de terrorisme. “Sommes-nous sortis du terrorisme pour entrer dans un autre ?” L'essor du banditisme interpelle le chef de l'état qui le qualifie sans ambages d'autre terrorisme. Hissée au rang de grande préoccupation, la lutte contre la criminalité doit focaliser l'attention des magistrats, estime M. Bouteflika. “La société vous regarde avec insistance. Elle attend de vous de la fermeté. Soyez sans indulgence”, les exhorte-t-il. Selon lui, le terrorisme intégriste a fait le lit du banditisme. SAMIA LOKMANE