Revisiter l'espace et l'architecture par ce qui suggère à la fois le passé et le devenir : un échafaudage en tubes galvanisés. Voilà ce qu'a choisi une jeune artiste pour évoquer son rapport à la ville et à son histoire. Mais surtout dérouter le regard par un assemblage de textures qui pourrait sembler à première vue, intrus. Le résultat, c'est d'abord le cran d'innover. L'esthétique est laissée à l'appréciation du visiteur, comme le souhaite l'artiste elle-même. Si d'aventure l'envie vous prenait d'aller faire un tour au Bastion 23, et que votre regard tombe sur un échafaudage, rassurez-vous, la vieille bâtisse des Corsaires n'est pas en chantier. L'enchevêtrement des longs tubes galvanisés, plutôt destinés à véhiculer l'eau, ne soutiennent aucun mur et ne porteront ni maçon ni peintre. Ce sont ces canalisations qu'a élues Amina Mania pour, dit-elle, rendre hommage à l'architecture. Par une installation de design.“L'échafaudage suggère toujours quelque chose en devenir et se place sous le signe du travail en cours. L'échafaudage a une forte dimension narrative et le Bastion 23 étant chargé d'histoire était bien indiqué pour cette installation. C'est donc une invitation à la redécouverte des lieux et c'est donc ici que j'ai choisi de commencer une série d'installations à travers la ville”. Si la mission première de l'art est l'étonnement, Amina Mania, diplômée en design de l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger, a certainement eu le cran, couru le risque, de surprendre. Par cette installation, le matériau moderne côtoie l'ancien, le gris froid du métal, le brun, à la limite du noir, du bois de thuya. Les lignes droites du métal narguent les courbes qui dessinent les arcades, les portes et les moucharabiehs. Cette union est une certitude. Mais au de-là du pied de nez souhaité aux convenances, qu'en est-il en revanche du résultat ? “J'ai souhaité éviter les déambulations linéaires, démultiplier les points de vue. Il y a également ce carrefour de nœuds qui fait que c'est en fait une sculpture en échafaudage. Par ce travail, j'ai surtout souhaité intriguer le visiteur.” Pour Nadira Laggoune-Aklouche, enseignante à l'Ecole des beaux-arts d'Alger, il importe peu que cet échafaudage soit perçu comme le produit d'une construction, ludique, curieux ou artistique. “L'essentiel est qu'il fonctionne comme une découverte des rapports à l'espace”. Les liens avec la ville sont toujours conflictuels en Algérie et cette exposition est peut-être une autre manière de reposer ce problème. Cet échafaudage du Bastion 23 n'est que le premier chapitre d'une série d'installations que l'artiste prévoit de réaliser à Alger. La deuxième étape ? Le métro d'Alger ! Il est donc bien question pour l'artiste d'oser ! Car, voici, à Alger du moins, ce qui suggère réellement le suspense, le travail en devenir, l'attente… concepts à prendre évidemment au premier degré. Mais peut-être qu'une installation de design pourrait mettre un terme à des travaux qui ne finissent jamais. L'art n'a-t-il pas pour mission d'étonner ? SAMIR BENMALEK “Extra-muros”, exposition de design au Bastion 23, boulevard Amara-Rachid, Bab El Oued, visible tous les jours jusqu'au 14 décembre.