L'Algérien vit sous tension. Il ressent physiquement la pression multiforme qui lui est imposée. Ainsi, nous apprend-on dans une étude qui vient d'être commentée, les pathologies cardiovasculaires sont la première cause d'hospitalisation en Algérie. L'enquête en question a quelque chose de rassurant : jusqu'ici la tension était la première cause de suicide. Tant mieux qu'il y en ait, parmi les Algériens déprimés ou tendus, qui consultent un médecin au lieu de se pendre ou de s'administrer une dose mortelle de tranquillisants. Mais que peuvent le médecin et l'hôpital contre l'étouffement national qui nous oppresse ? Ils sont si nombreux, dans mon pays, pour qui le minimum vital relève de la gageure. Vivant d'expédients, logés dans l'inconfort, ils sont si nombreux, les damnés du système installés dans la précarité définitive. Le pouvoir a beau retoucher les statistiques pour transformer le taux de 30% de chômeurs en 17, donner de fausses espérances en promettant un million d'hypothétiques logements à deux millions de sans-logis, le quidam voit le temps passer et sa condition empirer. S'en remettre au fatalisme de nos ancêtres n'est plus de mise. Trop de réussites et de fortunes poussent, telles des champignons, en une nuit, pour qu'il puisse admettre que son dénuement est providentiel. Il voit bien que c'est l'injustice qui nous arbitre pour y croire. La rente et le passe-droit pour les uns ; la rigueur et l'arbitraire pour les autres. Tous ces autres sont candidats au stress. Maladies de la détresse et, accessoirement maladies de l'opulence, il n'est pas étonnant que les cardiopathies soient à ce point démocratisées. Contraints à la misère accablante, beaucoup s'enfoncent dans une vie souterraine faite de manche, de poubelle et de privation. D'autres, plus osés, glissent dans une économie souterraine faite de la débrouille et de larcins d'occupations para-légales. Les uns souffrent d'oppression. La misère broie les premiers ; l'angoisse déprime les seconds. Tout est fait pour écraser l'individu : le discours unique, la répression, la bureaucratie. Tous ces maux n'atteignent que le commun des citoyens, le privilège étant de se mettre hors de portée de l'ENTV, du fisc, des méandres administratifs et de la simple police. Dans sa vie courante, le citoyen modèle doit se soumettre aux agressions de l'incivisme et au rigorisme de l'intégrisme courant qui régentent la vie quotidienne des Algériens qui n'ont pas les moyens d'habiter les îlots républicains réservés aux supercitoyens. Les femmes, en particulier, qui n'admettent pas de se soumettre à une obédience protectrice, sont les cibles faciles et partagées des intégrismes de frustrés et des prétentions des plus forts, des plus puissants et des plus riches. Elles doivent certainement faire contre mauvaise fortune bon cœur pour qu'il n'y ait pas plus d'accidents cardio-vasculaires chez elles. Dans un pays où les gens sont si nombreux à vivre sans ressources, sans qualité de vie, sans protection, dans un environnement de violence et d'insalubrité, c'est miracle qu'il reste encore des personnes saines. Ne stressons donc pas. Tout va bien. Comme on dit, “rahi tetseguem”, n'est-ce pas ? M. H.