Le drame s'est produit dans la nuit de lundi à mardi vers 4h. Parmi les victimes, on déplore un couple et leur enfant de cinq ans. Le parquet général près la cour d'Alger a ordonné, hier, l'ouverture d'une information judiciaire pour déterminer les causes et les circonstances de ce sinistre. Cet effondrement relance la question du vieux bâti dans la capitale. 13h12. Square Port-Saïd. Une nuée de pompiers s'affaire autour d'un monticule de décombres. Les éléments de la Protection civile sont debout depuis 4h30 du matin. Après neuf heures de fouille non-stop sous les tonnes de gravats, ils viennent de dégager le corps inanimé d'un client de l'hôtel Le Square, un établissement de 34 chambres situé au 2, rue Rabah-Arouri. La victime est de sexe masculin et a environ 35 ans. Moins d'une heure plus tard, vers 14h04, trois autres corps sont extirpés de dessous les décombres : un homme, une femme et un enfant de 5 ans. D'heure en heure, quatre autres cadavres seront sortis des gravats tout au long de ce triste après-midi. Les dépouilles mortelles seront transférées à la morgue de l'hôpital Maillot. Il était environ 4h20 du matin, hier, lorsque brusquement, une aile entière du Foundouk Al-Janina, petit hôtel de trois étages et une terrasse qui donne sur la place Abdelkader-Alloula, attenante au TNA, s'est effondrée comme un château de cartes, entraînant dans sa chute plusieurs de ses pensionnaires. “Nous avons reçu un coup de fil vers 4h25 du matin”, dit le lieutenant Sofiane Bakhti, chargé de communication à la direction de la Protection civile de la wilaya d'Alger. “Immédiatement après, les unités les plus proches se sont mobilisées et ont pu évacuer les premiers blessés. En tout, nous avons enregistré huit blessés : six ont été transférés vers l'hôpital Maillot et les deux autres vers le CHU Mustapha-Pacha. La plupart étaient des blessés légers. On dénombre un seul blessé grave. Il a été touché au thorax”, ajoute le porte-parole de la Protection civile. Une pelleteuse piochant dans le mur de la mort Il y a foule ce mardi matin autour du square Port-Saïd, une place qui, habituellement déjà, grouille de monde. Une flopée de badauds s'est amassée derrière les barrières dressées par la police dont moult enfants des quartiers de Bab-Azzoune et de La Casbah. Sur la place Abdelkader-Alloula, deux camions rouges de la Protection civile sont stationnés. Notons qu'une brigade cynophile constituée de cinq chiens a été mise à contribution pour renifler d'éventuels cadavres coincés sous les décombres. Une pelleteuse s'emploie à piocher fébrilement dans le mur de la mort, tandis que des camions et autres engins ramassent les gravats et les déplacent au long de l'impasse Mohamed-Touri, jonchée de blocs de pierre ocre. L'hôtel n'est plus qu'une bâtisse squelettique, fantomatique, dont les restes de portes et de planchers pendouillaient au-dessus d'un abîme laissé par un plancher effondré. Une veste accrochée à une porte orpheline ou encore un poster d'on ne sait quelle coqueluche de la JSK étaient les ultimes vestiges de ces chambres décharnées qui donnaient sur le vide. Matelas, couvertures et oreillers sont mêlés à des amas de poutres et de planches arrachés à l'immeuble vétuste. Au moment où le corps de la première victime, B. M., est dégagé, une grande émotion s'empare de la foule alentour. Autour de la scène du drame, agitation de responsables, d'uniformes en tous genres et de talkies-walkies. Le colonel Mustapha El-Habiri, directeur général de la Protection Civile, supervise de près les opérations de recherches et de déblaiement. Le wali d'Alger, M. Mohamed Kebir Addou, s'est déplacé sur les lieux pour s'enquérir de la situation. Le wali délégué de Bab El-Oued veille au grain, secondé par le maire de La Casbah. Le wali délégué se veut rassurant : “Nous attendons l'expertise du CTC pour déterminer les causes de cet incident et prendre les mesures qui s'imposent pour sécuriser les alentours de l'hôtel”, dira-t-il, avant d'ajouter : “Nous sommes conscients qu'il y a des problèmes, il faut les prendre en charge courageusement.” Des instructions ont été données au directeur du logement et au directeur général de l'OPGI de Bir-Mourad-Raïs pour prendre attache avec le CTC afin “d'éviter d'autres dégâts”, indique un communiqué de la wilaya d'Alger. M. Abdennour Ouerdi est le propriétaire de l'hôtel en question. Il affirme d'emblée que son établissement était tout à fait en règle : “Nous avons fait des travaux d'étaiement et de ravalement de la façade. Mais le problème n'est pas au niveau de mon hôtel, le problème réside dans les locaux qui se trouvent en bas de mon hôtel, et qui en ont fragilisé les fondations.” De fait, l'établissement de M. Ouerdi est un R+3 dressé lui-même sur une bâtisse de deux étages avec cave. Il se trouve que ces locaux sont vacants et seraient dans un état critique, aggravé par les effets du séisme du 21 mai 2003. M. Ouerdi est formel : “Le CTC est passé et n'a rien trouvé à redire. Il y a moins d'un mois, j'ai reçu les services techniques et d'hygiène de l'APC de La Casbah. J'ai une autorisation d'exploitation en règle. Tous mes papiers sont en règle”, dit-il. Rappelons tout de même qu'il s'agit d'un hôtel qui date de la fin du XIXe siècle. M. Ouerdi l'exploite depuis 1988 : “Il n'y a jamais eu un antécédent du genre”, souligne-t-il. Le réceptionniste témoigne Rabah Remidi, 51 ans, est un miraculé. Réceptionniste à l'hôtel Le Square, il l'a vraiment échappé belle. Rabah est arrivé il y a à peine cinquante jours dans cet hôtel, affirme-t-il. “J'étais de service à partir de 17h. Quand les derniers clients étaient rentrés – un groupe de trois musiciens qui travaillent à La Madrague –, il était 3h40 du matin exactement. Vers 4h10, j'ai entendu un bruit bizarre. Je pensais que c'étaient des rats. Habituellement, les rats font tout un raffut devant les sacs-poubelles. Soudainement, tout s'est mis à craquer autour de moi. J'ai compris que l'immeuble s'effondrait. Alors, j'ai tiré l'alarme. Affolés, les clients descendaient les escaliers en courant et moi je suis monté en sens inverse secourir les clients d'en haut. Très vite, l'hôtel baignait dans une épaisse poussière après qu'une partie eut craqué. Il n'y avait plus de lumière et il n'y avait plus que le noir et une poussière opaque tout autour de moi. J'entendais crier : “Rabah ! Rabah !” mais je ne pouvais rien faire”. Rabah connaît tous les clients de l'hôtel. D'ailleurs, c'est lui qui identifiera la première victime. Quand les pompiers déblayaient, il a reconnu une couverture : “C'est dans la chambre des musiciens, ça”, lâche-t-il. Rabah affirme que l'hôtel affichait complet. Le prix des chambres expliquerait qu'il soit bondé : 300 DA une chambre simple et 600 DA une double. Il y avait en tout une trentaine de clients. 22 sortiront de ce drame sains et saufs, dont 8 seront hospitalisés. 8 autres étaient portés disparus. Un proche de l'un des clients de l'hôtel vint aux nouvelles, paniqué : “Il s'appelle Layachi. Il n'est pas sur la liste des blessés, j'ai fait les hôpitaux. On a trouvé ses papiers et l'argent qu'il avait sur lui.” Cet homme guette le moindre mouvement des pompiers. Les voici retirant un cadavre. Il le scrute en se serrant le ventre. Non, ce n'est pas lui. Rabah affirme que parmi les clients qui avaient loué une chambre, ce lundi soir, figure un ressortissant égyptien accompagné de sa femme et de leur enfant, un garçon de 5 ans. Tous périront dans cet effondrement. Les clients d'une autre chambre sont portés disparus. Hélas, à mesure que le temps passait, il s'avérera qu'ils étaient sous les décombres. Le bilan s'aggravera d'heure en heure. Il était de sept en fin de journée. M. Ouerdi, joint par téléphone, parle d'une huitième personne qui manquait à l'appel, et qui venait allonger la liste des victimes. Aussi les recherches de la Protection civile se sont-elles poursuivies jusqu'à la tombée de la nuit. Rabah ne sait trop où passer la nuit. Il a juste envie d'une bonne douche pour se débarrasser de la poussière macabre qui empeste ses vêtements. Loin d'être abattu, il prend cette douloureuse épreuve avec philosophie, heureux d'être encore en vie pour le plus grand bonheur de ses neuf enfants. “L'essentiel menâgh”, lâche-t-il en kabyle. “L'essentiel, c'est que j'aie la vie sauve…” L'immeuble de “La Parisienne” évacué Alors même que les recherches se poursuivaient sous les décombres de l'hôtel Le Square, près du square Port-Saïd, l'alerte a été donnée pour évacuer en urgence l'immeuble dit de “La Parisienne”, à Alger-Centre. Une forte présence des forces de l'ordre a été observée autour du quartier hier après-midi. Cet immeuble, qui menace ruine, devait être vidé depuis plusieurs années. Rappelons qu'il a été évacué de ses occupants au lendemain du séisme du 21 mai 2003. Mustapha Benfodil