Parqués dans des baraques en parpaing et en zinc, dressées souvent en terrain accidenté sur les berges des oueds, des familles tentent de survivre dans un espace dépourvu des conditions de vie les plus élémentaires. Sur les rives de l'oued El-Hamiz, un lieu presque maudit. Plus de 5 000 âmes expient des erreurs qui ne sont pas les leurs. Loin du regard des hommes, elles s'entassent dans un décor inhumain. Un immense bidonville. Les bicoques et les demeures de fortune s'étalent à perte de vue à l'image des favelas brésiliennes. Du Hamiz jusqu'à Bordj El-Kiffan en passant par Dergana, la misère, dans ces cités, n'a d'égal que l'abandon total dans lequel survivent les familles, à quelques encablures seulement du centre de la capitale. Bien évidemment, ces taudis n'existent pas officiellement. Les baraques sont faites en parpaings, les portes et les fenêtres sont en tôle rouillée. Plus loin, des gourbis en roseau recouvert d'une couche de terre argileuse en guise de mortier. Les toits sont soit en tôle ou en amiante ciment. Ces bicoques s'enchevêtrent l'une dans l'autre d'une manière telle qu'il est impossible de les délimiter, encore moins de les recenser. La plupart sont composées d'une grande pièce et une minuscule cuisine donnant sur une courette, laquelle est délimitée par une sorte de clôture en zinc servant à préserver l'intimité des voisins. Les sanitaires sont communs, aménagés grossièrement avec de la tôle rouillée. Mais, elles n'ont de toilettes que le nom, puisqu'il s'agit d'une fosse sceptique. Dans un coin de la courette, sont déposés une pelle et un bidon servant à vider la fosse. Généralement, ces lieux sont conçus pour les femmes et les enfants. “Les hommes se soulagent dans les WC des cafés avant de rentrer à la maison”, explique Nabila. À l'intérieur de ces courettes, on trouve parfois un ou deux moutons ou encore des poules, comme le cas de la baraque de M. Kharifi Bouaâbache, un père de famille muet, qui doit nourrir 9 bouches. Originaire de Médéa plus précisément du village d'El-Djouab, la famille Kharifi a fui le terrorisme durant les années quatre-vingt-dix. “Auparavant, nous vivions dans notre village natal. Mon mari et mes trois garçons sont des fellahs. Ils travaillaient notre terre. On vivait aisément jusqu'à 1993, lorsque les terroristes ont attaqué notre village ; ils ont tué plusieurs personnes et kidnappé 36 hommes. Mes trois garçons ont été également pris de force, mais ils sont revenus à la maison sains et saufs. Le lendemain, nous avons quitté notre village, laissant derrière nous tous nos biens”, se souvient encore Nabila. Les Kharifi n'étaient pas les seuls à fuir ce patelin. C'est tout le village d'El-Djouab qui s'est carrément établi dans ce bidonville. “Mon père a été égorgé par les terroristes. On a été obligé de fuir avec ma mère, mon frère et mes deux jeunes sœurs. Quelques jours après, les militaires ont bombardé notre patelin, maintenant, il ne reste que des ruines”, soupire Ghania, la gorge nouée par un sanglot. Dans ce quartier de la capitale, l'eau et l'électricité n'existent pas. À quelque centaines de mètres du bidonville, une vue plongeante sur la méditerranée, mais pas d'eau potable. “La commune nous a abandonnés. Il n'y a ni eau ni électricité. Nous achetons l'eau à raison de 300 à 500 DA la citerne. Pour l'électricité, c'est les habitants des villas qui nous dépannent grâce à des branchements sur leur compteur. Bien sûr, nous payons entre 2 000 DA et 3 000 DA par mois. C'est une arnaque”, s'insurge Nacéra. Elle accuse, par ailleurs, le gouvernement de ne rien faire pour changer la situation. “Le maire et son staff sont venus trois fois lors de la campagne du référendum pour la charte et la réconciliation. Ils nous ont promis que notre situation allait changer après la réconciliation nationale. Depuis rien n'a été fait”. Nacim, son frère de 11 ans, rêve d'un petit boulot pour gagner un peu plus d'argent afin d'avoir de l'électricité. “Je ne peux pas étudier sans électricité”, se plaint le jeune garçon. Dans ce quartier oublié, le chômage bat tous les records, notamment chez les jeunes. Trois sur quatre ne travaillent pas. Leur rêve ? Quitter le pays. Traverser la frontière — n'importe laquelle —, partir en Espagne ou en Angleterre. La terre promise. “Là-bas, je trouverai du boulot. Je suis artisan, je pourrai vendre mes articles. Mon copain est parti en Angleterre, haraga, il y a quatre ans et il a pu faire sortir sa famille de ce gourbi d'el-Hamiz. C'est un artisan, on a d'ailleurs fait notre formation ensemble”, déclare amine. Dans ce quartier, les quelques personnes qui ont un emploi sont des manœuvres ou des vendeurs à la sauvette. Un peu plus loin, des gosses s'amusent à chasser les moineaux dans l'oued Hamiz, où se déversent les eaux usées. N. A.