Après le Liban, cap sur Damas, “une ville complètement paralysée par l'Aïd”. Notre reporter nous raconte “l'embargo imposé par… le mouton”. Damas, jeudi 12 janvier 2006. J'ai franchi la frontière syro-libanaise mardi dernier, au premier jour de l'Aïd, après une semaine mouvementée passée au Liban. Une centaine de kilomètres seulement séparent Beyrouth de Damas. La Chevrolet qui me conduit en Syrie met à peine deux heures et demie de trajet. Au poste libanais de Masnaâ, je suis attiré par des pancartes collées derrière les guichets des douaniers, et sur lesquels on peut lire : “Arrechoua toukallifou essidjn”, “La corruption mène en prison”. Gare au bakchich donc ! Au poste syrien qui lui fait pendant, je passe sans encombre. Pas de visa pour l'Algérie, mesure dont bénéficient tous les ressortissants arabes, du reste. C'est l'une des dernières traces écrites du défunt nationalisme arabe, Al Qawmiya al arabiya, slogan cher aujourd'hui encore au régime syrien. En dépassant le poste-frontière, je lis : “Souria toussanidou Loubnan achaqiq”, “La Syrie soutient le Liban frère”. Mon portable se met automatiquement sur Syriatel mais le champ est de piètre qualité. Les portraits de la dynastie des Assad s'emparent immédiatement de l'espace visuel. “Al Assad ila al abad”, chante une réclame. Arrivé à Damas, quelle ne fut ma surprise de découvrir une ville complètement paralysée par l'Aïd. L'embargo, ce n'est pas Washington qui l'a imposé mais le mouton. Cinq jours durant, ce sera le black-out total, comme sous le coup d'une panne générale d'activité. Cela gâche complètement mes plans. Pas moyen de trouver le moindre interlocuteur officiel ou médiatique. “Ici, la fête de l'Aïd dure quatre jours. C'est pour cela qu'on l'appelle l'Aïd El Kébir. L'Aïd El Fitr, lui, dure en revanche trois jours”, m'explique un chauffeur de taxi palestinien. La panne politique de l'Aïd se trouve aggravée par un jumelage avec le week-end, sachant que le week-end syrien, c'est vendredi-samedi. Ainsi, l'Aïd additionné au week-end aurait pu se prolonger sur six jours. Le plus long auquel j'ai jamais assisté ! Pas de vie officielle donc avant dimanche. Les seules structures qui fonctionnent sont les enfants. On peut voir ainsi, à longueur de journée, des hordes de mômes qui sillonnent la ville de cinéma en cinéma (où l'on diffuse allègrement des films limite pornos) ou écumant les salles de jeu, une cigarette au bec. Car ici, il y a beaucoup d'enfants qui fument, et le tabagisme puéril ne semble choquer personne. La voix officielle de la Syrie reste les banderoles, seuls témoins tangibles qu'une tempête politique est passée par là. Les murs de la ville font office de porte-parole. De larges drapeaux pavoisent les bâtiments officiels, tandis que d'autres, plus petits, flottent des balcons des immeubles en signe d'adhésion patriotique. Florilège de mots d'ordre à la sauce nationaliste. “Souria Allah yahmiha wé Bechar Al Assad raïha”, indique un “chiâr” tautologique. Un beau panneau géant du jeune président syrien orne l'entrée de Souk El Hamidieh, près de la statue de Salah Edine Al Ayyoubi et la splendide Qalqaât Dimashq, la Citadelle de Damas. Talal Hamdane est un fonctionnaire au ministère de l'Approvisionnement et du Commerce intérieur. Il est également guide à ses heures. Homme fort affable, il me fait un accueil chaleureux comme beaucoup de Syriens, au reste, dès qu'ils me savent algérien. “Ahlan bil djazaër, balad el milioune chahid”, entends-je chaque fois que je me présente. “Le pays va très bien. Nous vivons cette situation d'une façon très sereine”, affirme d'emblée Talal. Comme une bonne partie de ses compatriotes, Talal est indigné par la “bombe” Abdelhalim Khaddam. “Voilà un homme qui a vampirisé le pays, qui a mangé à tous les râteliers, qui a passé près de quarante ans au pouvoir, et maintenant, il vient la jouer “mouâradha”. C'est ridicule !”, poursuit-il. Pour trouver dans les rues de Damas un Syrien qui vous dirait le contraire, il faut vraiment chercher. Toute voix discordante out ! “Anta moukhbir ?” me demande un coiffeur d'un air suspicieux. Un jeune qui tient un cybercafé dont je requiers un avis me lance : “Ana ma indi chaghla bi issiyassa.” De fait, les gens sont très méfiants. Dès que vous sortez un appareil photo, ils se braquent. Ici, sortir un appareil photo, c'est comme sortir un flingue. On se dit tout de suite : “C'est quelqu'un de louche”, les touristes se faisant rares et la saison ne se prêtant guère aux flâneries romantiques en cette période où il fait 2°C à Damas. Un citoyen rencontré sur la rue Victoria croit savoir quant à lui que Saâd Hariri, le fils de Rafic Hariri, aurait offert un palais à Abdelhalim Khaddam à Paris. Cela fait écho à ce slogan que j'ai vu près de la place Youssouf Al Adhama : “La lil moutadjara bi dami al Hariri”, “Non au marchandage du sang de Hariri !” Je dois me sauver. Je vais tenter une incursion dans le Golan occupé, Al Joulane. A demain ! Incha Allah. M. B.