La régression sensible qu'a connue le prix du mouton à la veille de l'Aïd El Adha, à Annaba, a mis dans l'embarras de nombreux trabendistes, spécialisés dans l'achat et la vente de “kebch El Aïd”. Aujourd'hui, ces “businessmen”, issus de toutes les catégories sociales et professionnelles — épiciers, vendeurs de légumes, enseignants, fonctionnaires et même cadres —, ne savent plus à quel saint se vouer devant la mévente de leur cheptel. Ainsi, une semaine après l'Aïd, de nombreuses cités de La Coquette sont toujours investies par des troupeaux de moutons, lesquels, devant l'absence de pâturages, broutent carrément dans les poubelles des ordures ménagères, à la grande stupéfaction des populations. L'avènement de l'Aïd El Adha est, chaque année, synonyme de fièvre du mouton qu'alimentent des spéculateurs qui s'improvisent “maquignons du vendredi” à Annaba, comme dans la plupart des régions du pays. Ces businessmen de “kebch El Aïd”, ce sont ces intermédiaires entre l'éleveur ou le maquignon et le client, qui est appelé à sacrifier au rituel de la “dhahia”. Ce sont ces “parasites” qui font grimper le prix du mouton dans les grandes villes, à la veille de l'Aïd. Mais, ils ne connaissent de la race ovine que le nom et sont le plus souvent à mille lieues des habitudes et du comportement des bergers et autres vrais maquignons qui vivent par et pour le mouton. À Annaba, ce phénomène de maquignons en blouson de cuir noir est de plus en plus répandu. Dans les marchés aux bestiaux réguliers, ou improvisés à la veille de chaque Aïd, ces maquignons du week-end sont presque aussi nombreux que les professionnels. Ils sont reconnaissables à leur tenue et à leur comportement. Ce trabendisme occasionnel est presque devenu une pratique courante qui a tendance à se généraliser. Il suffit d'une somme rondelette de quelques dizaines de milliers de dinars, un garage pour accueillir une ou deux douzaines de bêtes, un véhicule pour les transporter et le business est monté. Les élèves de l'école du quartier huppé de Mont-Plaisant, à Annaba, n'en croyaient pas leurs yeux, la veille de l'Aïd, lorsqu'ils ont vu un camion charger une vingtaine de moutons sortant d'une superbe villa du coin. Le beau jardin de cette belle demeure accueillait les moutons de l'Aïd. Un petit troupeau que le propriétaire de la villa, qui sans nul doute s'est lui aussi improvisé maquignon, allait acheminer vers un des souks aux bestiaux de la périphérie de la ville où les spéculateurs font souvent la loi. Comment est organisée la pratique de ce business ? Il y a, en fait, plusieurs manières, dont deux sont les plus courantes. Ceux qui, à un ou deux mois de l'Aïd, font la tournée des régions les plus réputées pour l'élevage ovin. Et les autres qui guettent les camions bondés de bêtes venus des wilayas limitrophes. Ils achètent “sur pied” tout le troupeau. “Ma t'habat oualou (ne fait rien descendre), nous négocions tout le camion, je prends tout”, lancent-t-ils aux maquignons. Ces derniers, souvent, préfèrent conclure l'affaire sur place pour ne pas avoir à se déplacer jusqu'au marché. Pickpockets, escrocs et autres voleurs pullulent également dans ces marchés à la veille de l'Aïd. Pour les premiers, ils peuvent se rendre de Annaba à Ouled Djellal où ils s'approvisionnent aussi et surtout dans la région de Tébessa. Outre la proximité, le mouton de la région de Chréa (Tébessa) est très apprécié des Annabis. Mais, avant l'acquisition du troupeau, il est d'abord question de louer un garage, un hangar, une vieille ferme, une cour, un patio dans une vieille maison, que l'on aménage. Depuis des années, les traditions liées à la fête du sacrifice ont changé. Aux férus des grands moutons bagarreurs, qui faisaient la réputation de la ville, ont succédé des sangsues qui ôtent tout charme à cette fête. B. BADIS