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Des poudrières prêtes à exploser
Skikda, Arzew et Hassi-Messaoud
Publié dans Liberté le 19 - 01 - 2006

C'est le point de vue des experts qui estiment que ces sites industriels ne répondent plus aux normes sécuritaires et environnementales.
Il y a deux ans, jour pour jour, la ville de Skikda fut secouée par un grave accident industriel, unique dans les annales de la ville pétrochimique et du groupe Sonatrach, propriétaire des installations, augurant un cycle d'accidents qu'on croyait réservés aux autres. La moitié des installations du complexe GL1K fut anéantie par une explosion qui causa, dans son sillage, la perte de 27 victimes parmi le personnel de Sonatrach.
L'année suivante, soit le 4 octobre 2005, à 10 heures du matin, une explosion suivie d'un incendie a eu lieu au niveau du bac S106 du terminal arrivée RTE Skikda sur le même site, soit la zone industrielle.
Si le feu a été circonscrit une première fois le même jour à 13h15, le dispositif en place inadapté à la nature du risque, n'a pas permis, selon les experts, de consolider cet effort et le feu a repris de plus belle 5 minutes après, et ce, jusqu'à l'apparition de ce que les spécialistes appellent le phénomène de “boilover” dont l'effet a provoqué l'incendie du 2e bac, soit le S105. Autrement dit, si c'est le “risque” qui a incendié le premier bac, c'est l'absence d'un “risk management” qui a provoqué celui du second. Résultat : 2 agents ont péri, deux bacs ont été détruits, avec la perte de 44 389 mètres cubes de pétrole, en plus des engins roulants de l'unité d'intervention.
Pour les accidents de Skikda, les plus fatals dans l'histoire de la pétrochimie du pays, soit les explosions du GL1K et des bacs du terminal de la RTE, ce sont à la fois la conception de ces “usines pétrochimiques”, dont les “barrières” ne répondent plus aux nouvelles exigences “cindymiques” et l'absence d'un “risk management” performant qui ont causé autant de dégâts, notamment humains.
La preuve est donnée par Mme G. Feghouli, responsable du nouveau dispositif de gestion de risque à Sonatrach. Pour l'intéressée, l'accident du GL1K a causé les 27 morts, donc devenu fatal, dans sa première manifestation, soit l'explosion. Toujours selon la même source, qui s'exprimait avant-hier, à Skikda, lors du colloque international sur la gestion des risques technologiques, la deuxième phase, soit l'incendie, a été vite et bien maîtrisée. Or, dans les nouvelles conceptions d'unités sensibles, des barrière existent entre la source du risque majeur et les victimes potentielles. Nombres d'installations de Sonatrach, d'une technologie ancienne, ne répondent plus à ces nouvelles normes, a révélé un expert. Une réalité qui laissa M. S. Arbi Bey, lors du même colloque, affirmer que “ces mêmes conditions (ayant abouti aux deux catastrophes de Skikda, ndlr) subsistent toujours et le risque est toujours permanent”.
Faits marquants des deux dernières décennies, les efforts technologiques ne distribuent plus uniquement de la richesse, mais aussi des risques majeurs. Les groupes industriels et les pays qui ne s'adaptent pas à ces mutations paient une facture économique et sociale de plus en plus lourde. Ainsi, même chez les groupes pétroliers, à l'image du géant et leader britannique, BP, des incidents graves se produisent. La différence avec le cas de l'Algérie, en général, et de Sonatrach en particulier, est la fréquence du passage de ces accidents du stade de “presque risque” à celui de “risque majeur”.
À titre illustratif, pour une même période, sur 15 accidents survenus chez Sonatrach, — qui auraient dû se limiter à ce que la pyramide de Bird qualifie de “presque risque” —, une fatalité a été enregistrée, alors que dans la profession, chez les leaders, une fatalité est enregistrée sur 60 accidents en moyenne.
Ce qui rend ces risques encore plus catastrophiques est qu'à l'image de GL1K, de la RTE Skikda et de la plate-forme de Hassi-Messaoud les sites pétroliers, sources de risques, se trouvent dans des zones industrielles conçues dans une période où les villes étaient démunies d'outils de gestion de l'urbanisme et où existent d'autres activités avec en prime des zones urbaines dans les limites immédiates.
Cette cohabitation des unités à haut risque avec les espaces de vie humaine, conjuguée à l'essor de l'information et de la communication, fait passer, selon les spécialistes de la “cindynique”, le risque technologique en un risque psychologique majeur. Il suffit de se remémorer les scènes, d'il y a à peine 3 mois à Skikda lorsque les populations des cités proches de la zone industrielle, prises de panique, y compris par l'effet de la médiatisation, sont allées dans une première étape, se réfugier sur les collines avoisinantes pour s'adonner, dans une seconde étape, à une véritable errance après que les autorités les eurent averties de la présence de terroristes infectant ces lieux de refuges.
À Skikda, la population a vécu à la fois et lors d'un même accident, les effets dévastateurs des risques technologiques (accident industriel mortel), psychologiques et anthropologiques (terrorisme) pour reprendre les spécialistes en “cindyniques”.
Selon l'un de ces derniers, Georges-Yves Kerven de l'Institut européen des cyndiniques, présent lui aussi au colloque de Skikda, après le 21 septembre 2001, dans l'étude du risque, il faut prendre en considération le risque majeur anthropologique. Autrement dit, adapter les installations, dont celles de Sonatrach, au risque terroriste. Il a dit tout haut ce que tout Skikda chuchote tout bas.
Pour cela, c'est tout le tissus urbain qui doit être traité. À ce stade, le cas de la ville de Hassi-Messaoud est édifiant. Les spécialistes proposent à ce que le “risk management” soit pris en charge dans l'élaboration des plans d'aménagement urbains. Mieux, comme c'est le cas dans les pays développés, il est temps d'intégrer cette démarche dans la gestion des collectivités locales.
Alors une question se pose : si Sonatrach, qui s'est résolument engagée dans la modernité, est en train de rattraper à pas de géant les retards accumulés, qu'en est-il de nos élus locaux déjà perdus dans la gestion de la voirie ?
MOURAD KEZZAR


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