Cela pourrait s'apparenter à un véritable crime contre la culture et l'histoire. Mais, dans notre pays, cela ne fait pas la une. Et, pourtant, au centre de documentation du Cridissh, dépendant de l'université d'Es Sénia, une situation catastrophique est vécue par les animateurs de ce centre qui subit les dégradations dues aux fuites d'eau et aux évacuations défectueuses des eaux usées. En effet, le centre qui se trouve en ville, quartier Miramar, est surmonté par la résidence dite Maréchal-Leclerc. Locataire de l'Opgi, le centre a donc pour voisins des appartements dont la majorité des occupants sont propriétaires. “Depuis des années, nous subissons ces problèmes de fuites d'eau et d'égouts provenant des appartements du dessus. C'était le goutte-à-goutte… mais, depuis 2002, la situation s'est aggravée”, nous a expliqué le directeur du centre, qui raconte encore : “Il y a quelques jours, parce qu'un locataire a oublié de fermer les robinets, je me suis retrouvé avec 5 mm d'eau dans mon bureau, plusieurs morceaux du plafond par terre… alors même que l'Opgi venait d'effectuer des travaux sur le réseau d'évacuations de plusieurs appartements !” Mais le plus grave, c'est que ces fuites d'eau incessantes ont détérioré des ouvrages de la bibliothèque, près de 1 300, entre revues et autres périodiques. Parmi les ouvrages, détruits en partie par les eaux et la moisissure, figurent de véritables merveilles, des exemplaires qui sont uniques à l'échelle nationale et dont il ne reste plus aucun exemplaire, puisque l'édition est totalement épuisée. Et pour cause, ces livres ont été édités en 1830 et 1833. Notre interlocuteur nous montre ainsi deux exemplaires de ces merveilles, un grand recueil de gravure et de lithographies retraçant la Régence d'Alger. L'ouvrage, signé par Horace Pernet, renferme des dizaines et plus de gravures ayant pour thèmes la ville d'Alger à l'époque de la Régence, ses premiers quartiers, les mosquées, les citadelles et les murs d'enceintes de la ville, les artisans et leurs boutiques, etc. Un autre ouvrage, un dernier exemplaire existant, intitulé Voyage pittoresque exécuté en 1835 par A. M. Perrot, contient, en fait, la première carte réalisée sur le Nord de l'Algérie et qui a servi, nous dit-on, aux militaires pour leur campagne de colonisation. D'ailleurs, au bas de la couverture, dont les bords sont déchirés, nous pouvons encore lire : “Esquisse topographique et historique du royaume et de la ville”. Autant de richesses que le directeur du centre tente de préserver en enfermant ses précieux ouvrages dans une armoire car, malheureusement, leur restauration n'est pas possible, il n'existe aucun restaurateur d'ouvrages anciens dans notre pays. Les dégâts des fuites causées par le voisinage qui n'en a cure, les fuites reprenant à chaque fois, n'ont épargné aucune salle du centre Cridissh, salle de lecture, de conférences, l'espace Internet a dû être fermé pour éviter les court-circuits, des équipements comme les photocopieurs ont également été endommagés. L'assurance ne pourra concerner que les équipements mais pour les ouvrages, cette mémoire collective de notre patrimoine historique et culturelle, il n'y a aucune assurance. Seul l'immense désolation que l'on ressent devant un tel gâchis et une telle indifférence des autorités, des hommes de lettres et de culture. F. BOUMEDIÈNE