Les forces de police ont procédé à 1 697 interpellations. 121 individus ont été présentés au parquet. Bien sûr que nous sommes pour ce genre d'opérations. Nous ne pouvons plus mettre les pieds dehors sans crainte de nous faire agresser ou détrousser. Auparavant, il y avait deux à trois voyous dans le quartier, que tout le monde connaissait mais qui restaient inoffensifs. Aujourd'hui, ils surgissent de partout et se jettent sur nous comme des proies faciles”, le vieillard palabre à satiété. Il débite ses reproches par saccades, interrompu par l'agitation ambiante. Il y a à peine quelques minutes, il se morfondait dans ce café maure, dominant la placette de Bouzaréah où des clients désœuvrés et frileux se sont massés pour regarder un match de coupe d'Afrique de football. Soudain, ils sont tirés de leur torpeur par l'arrivée d'une véritable armada policière. Des dizaines de véhicules 4x4 déboulent à toute vitesse. Ils déversent sur la place un peu plus de 300 policiers prêts à l'action. Treillis et rangers, l'uniforme des grands jours est de mise. Les talkies-walkies crépitent. Des ordres sont donnés. En un tour de main, la fourmilière éclate. Les hommes en bleu se déploient et quadrillent le cœur de la localité. Les badauds sont à l'affût. Des automobilistes surpris slaloment entre les Nissan et les Land Cruser. Ils passent à proximité du café où un groupe de policiers fait incursion. Vérification de papiers, fouille corporelle, questions. Un fourgon cellulaire stationné à proximité se remplit très vide. Au bout d'un quart d'heure, il est bourré. Les derniers interpellés ont peine à y trouver place. “Nous n'avons plus où les mettre”, réplique un des agents postés à l'arrière du véhicule. De l'autre côté de la rue, un second panier à salade plein comme un œuf démarre, direction le commissariat local où un peu plus de 140 individus seront présentés pour un examen de situation. Dans le tas figurent des vagabonds et des journaliers de chantiers de construction, originaires de bourgs environnants ou de provinces lointaines de l'intérieur du pays, sans papiers, des fumeurs de drogue, des dealers, et les fameux voyous aux “longs couteaux” qui empoisonnent la vie de paisibles citoyens et du petit vieux du café. “Oui, je suis content de voir la police”, martèle-t-il avant de s'évanouir dans la nature. À Bouzaréah, les quidams n'ont sans doute jamais assisté à un tel déploiement des forces de police, même durant les années de terrorisme où la traque des groupes armés exigeait plutôt la discrétion. “Avec ça, nous voulons instaurer un climat d'insécurité dans le milieu du crime”, explique Nacer, officier à la cellule de la communication de la sûreté de la wilaya d'Alger. Coup de force ou de pub ? L'un ne va pas sans l'autre, car la police bouge et entend bien le faire savoir aux délinquants, à leurs victimes et au public. Cette mobilisation d'hommes et de moyens a donné lieu à des opérations d'envergure dont les journalistes ont été conviés à retracer les péripéties. Le rendez-vous est pris ce samedi 4 février au siège du commissariat central. Des reporters de plusieurs titres de presse et de la radio El-Bahdja prennent connaissance de “leur affectation”. Le dispatching cible les trois divisions de la Police judiciaire de la capitale. Les reporters d'El Moudjahid, Sawt El Ahrar et Liberté sont emmenés à la division ouest sise à Châteauneuf. Un dispositif impressionnant Il est 14h, Boualem Belassel arrive à la tête d'une petite armée. D'un abord très sympathique, il envisage sa mission avec sérénité et une grande décontraction. Que valent donc de petits délinquants devant les hordes terroristes qu'il avait combattues avec ses hommes durant les années de braise. Commissaire à Debbih-Chérif au début des années 90, puis dans d'autres arrondissements tout aussi hostiles, il égrène dans un soupir les durs moments de cette longue épopée et les noms de ses compagnons d'armes, qu'il a perdus en chemin. Les temps ont changé. Si le terrorisme islamiste est vaincu, il n'est pas mort pour autant. Selon le président Bouteflika, la terreur est ressuscitée par des délinquants qui volent, et souillent l'honneur de petites gens, sans défense. Aussitôt le constat fait, le gouvernement a pris des mesures. La lutte contre la petite et moyenne criminalité est hissée au rang de priorité. Justice, gendarmerie et police rivalisent d'initiatives. La Sûreté de la wilaya d'Alger élabore sa propre stratégie. Son slogan, une devise d'une autre époque : “La peur doit changer de camp.” Pour y arriver, les choses sont faites en grand. Il faut impressionner ! “Win rahi mekhelta” (Où y a-t-il du grabuge ?), demande un garçon espiègle à Nacer. Comme tous les passants sillonnant les deux rives de l'avenue Ali-Khodja à El-Biar, il est interloqué en voyant autant de voitures de police sur le macadam. Le convoi en compte 48. BMPJ et sûretés de daïra de l'ouest d'Alger ont été mobilisées. “Il faut multiplier ces chiffres par trois”, observe Nacer. En tout, 1 518 fonctionnaires ont été réquisitionnés par les trois divisions pour prendre part aux descentes. Certaines auront duré près de 24 heures. Place Kennedy. Il est 15 heures. Quelques vendeurs à la sauvette s'empressent d'empiler leurs cartons en apercevant les policiers. En revanche, ceux qui ont pris place à l'intérieur du marché ne semblent guère inquiets. Ils continuent à “draguer” les clientes nombreuses qui s'amassent devant leurs étals. “Ce n'est pas à nous de les déloger. Il y a une section de la police qui s'occupe de cela”, remarque M. Belassel. Dans la cohue du souk, se faufilent les larrons que ses équipes sont venues cueillir. Dans le tas, un repris de justice se baladait allègrement avec un couteau dans la poche de son pantalon. “Comparativement à l'Est ou au Centre, l'ouest d'Alger est paisible. Ici, les gens se connaissent. Il y a peu d'étrangers. Ce n'est pas comme ailleurs, au centre-ville par exemple où les délinquants viennent commettre leurs forfaits avant de se replier vers la périphérie”, commente le commissaire divisionnaire. Bilan de l'opération à El-Biar : 150 interpellations. Suite du périple. À Oued Etarfa, dans la périphérie de Draria, le marché qui envahit la chaussée empêche la progression des véhicules de police. Un vendeur est sommé de déplacer sa charrette. Les lieux sont quadrillés. À hauteur d'une petite ruelle, des interpellations sont effectuées. Deux barbus, vêtus de kamis souillés, sont sommés de présenter leurs papiers d'identité. L'un, les yeux bordés de khôl, dit qu'il les a oubliés dans une serrurerie des parages où il est embauché. “Je travaille juste là et je suis avec lui”, dit-il en désignant son ami du menton. “Vous partagez une seule carte d'identité”, plaisante un policier avant de le conduire dans le panier à salade qui une fois encore affiche complet. Un jeune est ramassé au bas de son domicile. “J'habite ici”, martèle-t-il en vain. “Cela lui apprendra à garder toujours ses papiers sur lui”, soutient Nasser. La récolte de la journée sera fructueuse. l 586 interpellations seront réalisées à travers une dizaine de localités d'Alger-Ouest. 51 personnes uniquement seront déférées devant le parquet. Parmi elles, des individus recherchés et des porteurs d'armes ainsi que des voleurs de téléphones portables. Le convoi arrive à Baba Hassen aux environs de 18 heures. D'ancien bourg parsemé de pâturages, la localité est devenue un paradis immobilier convoité par la bourgeoisie. Des lotissements rutilants contrastent avec le centre-ville où des cafés bondés sont la vitrine d'une jeunesse oisive. Sans le sou et frustrée par le rush des riches, elle flanche. “Vite, rattrapez-le”, hurle-t-on de toutes parts. Hélé par un officier pour une vérification de papiers, un jeune prend ses jambes à son coup. Plusieurs policiers lui courent après sur plusieurs dizaines de mètres. Il sera arrêté chez lui, sur la terrasse où il s'est réfugié. “Je croyais que vous étiez venus m'arrêter parce que je dois de l'argent à quelqu'un”, répond-il aux policiers avant de s'emporter contre le photographe qui immortalise ses rictus. Menotté, il traverse la rue sous le regard de ses voisins. Une vieille dame assiste à la scène. “C'est quoi tout ça ?” murmure-t-elle en pressant le pas, effrayée. La cueillette se poursuit à Douéra en début de soirée. Sur la route menant vers le littoral, une partie des troupes de M. Belassel s'introduit dans une forêt où sévit un petit trafic de drogue. Le casse-tête des mineurs délinquants À Staouéli, un jeune bon chic bon genre est arrêté avec une petite quantité dans sa poche. Comme tant d'autres, il monte dans le fourgon cellulaire sans résistance. Les vendeurs de cigarettes à la sauvette sont la cible des policiers, car souvent ils s'improvisent dealers. Pause-café dans une buvette. Les restaurants des alentours chôment. C'est l'hiver, et la clientèle est rare. Sur une place voisine, des enfants errent. L'un d'eux interpelle le commissaire Belassel et lui demande la raison de la venue de policiers. Rabroué, il toise sans retenue l'officier qui voit en lui un futur chef de bande. Comme ses copains de jeu, il est une victime de l'exil intérieur. Il vient avec sa famille de Médéa. Exode, pauvreté et déscolarisation, trois ingrédients pour la fabrication du parfait apprenti délinquant. “Le problème aujourd'hui est qu'on a affaire à des mineurs que des grands utilisent dans des vols”, déplore M. Belassel. La police a de grandes difficultés dans la gestion des affaires où des mineurs sont impliqués car, souvent, les parents sont démissionnaires et la justice un peu trop sourcilleuse quant au respect des procédures et très peu coopérative. “Nous nous retrouvons avec des jeunes sur les bras sans savoir quoi en faire”, se plaint un de ses adjoints. Quelquefois, ils ou elles sont débusqués dans des bars et des boîtes de nuit sordides où ils sont à la merci de proxénètes sans foi ni loi. Mais, cela est une autre histoire que relatent les mensonges, les clins d'œil entendus et les silences forcés des prostituées qui hantent les sombres et fumants cabarets de la côte, à La Madrague, par exemple, notre dernière escale… S. L.