Les experts reconnaissent toutefois la complexité de ces mutations et le temps que nécessite leur mis en œuvre. La réforme bancaire et la lenteur dans sa mise en œuvre suscitent encore la réaction des experts et des observateurs très au fait du système financier en Algérie. Les contraintes que rencontre cette démarche (réforme) sont à plusieurs reprises identifiées et ciblées par les uns et les autres. Le gouvernement a, certes, pris ses dispositions mais la concrétisation tarde à venir. Cette problématique a fait l'objet récemment d'un long débat au cours d'une émission sur la chaîne Canal Algérie. Pour M. Mohamed Makhloufi, chef de cabinet au ministère délégué chargé de la réforme financière, il a été assigné quatre grands objectifs à cette réforme. Il s'agit du renforcement de la stabilité de la rentabilité en améliorant la gouvernance des banques, l'accroissement de l'efficacité de l'intermédiation bancaire, l'allégement des bilans, le renforcement du marché donc du crédit et la réduction du coût d'intermédiation et la modernisation rapide des systèmes de paiement de masse. Certains objectifs tels que la modernisation des systèmes de paiement de masse seront lancés dès le 1er trimestre 2006. M. Abdelhak Lamiri, docteur en sciences de gestion, estime pour sa part que les banques publiques doivent servir une stratégie de l'Etat qui est le développement économique à travers le tissu de la PME-PMI. “Ainsi, les banques financent-elles ces PME-PMI ?” s'est-il interrogé. Il faut, selon lui, améliorer également toutes les fonctions bancaires. Le management bancaire, a-t-il souligné, reste très faible en Algérie. “Nous avons des lacunes en matière de management en ressources humaines et d'allocation de crédits… il faut lier la réforme bancaire aux politiques publiques qui aspirent à un développement du secteur des PME-PMI et à la création d'emplois. Cet axe stratégique doit être pris en compte par les banques. ça doit être l'une de leurs priorités”, a-t-il constaté. Normalement, suggérera-t-il, plus de 70% des crédits doivent aller essentiellement aux PME privées productrices de richesses et créatrices d'emploi en Algérie. Cela doit ressortir dans les plans d'action des banques. M. Daoudi, P-DG de la BDL, reconnaît que la réforme bancaire se pose effectivement en termes de modernisation. “Il faut commencer par le développement d'un système d'information, du système de paiement, la fonction de crédit, d'audit, de comptabilité, de contrôle de gestion, le commerce extérieur et la formation”, avouera-t-il. “Nous avons, en effet, un déficit en cadres notamment dans nos cellules d'exploitation”, ajoutera-t-il. Réforme bancaire : les lacunes et les contraintes identifiées L'Etat a un budget d'équipement pour financer un certain nombre de projets. Et les banques interviennent toujours, indiquera-t-il, en aval, en accompagnant les entreprises qui réalisent les projets d'investissement. Au 31 décembre 2005, a-t-il affirmé, il y a eu un encourt de crédit global distribué à l'économie estimé à 1 600 milliards de DA soit environ 16 milliards d'euros. “Je ne pense pas que les financements au niveau des banques soient en panne. Mieux, ils sont orientés vers les PME-PMI”. Cependant, les mutations qu'auront à subir les banques nécessitent beaucoup de temps et de gros efforts de la part des responsables concernés. Sur le volet lié à la disparition des banques à capitaux privés nationaux, M. Benkhalfa, secrétaire général de l'Association des banques et des établissements financiers (Abef), a mis l'accent sur l'inadaptation de celles-ci sur la place financière nationale. “Il faut dire que dans plusieurs cas, les banques n'ont pu s'adapter parce que les risques sur la place sont trop importants et qu'il faut beaucoup de moyens, soit le système de contrôle et détection des actes frauduleux a été faible”, expliquera-t-il. Toutes les banques notamment les banques à grand réseau ont, précisera-t-il, remodelé leur système d'information. Elles vont avoir les informations de tout leur réseau journellement et les mouvements de liquidités vont s'estamper jusqu'à ce qu'elles deviennent négligeables. Par ailleurs, il est opportun de savoir quelles sont les dispositions prises pour éviter une année 2005 bis, une année marquée par les scandales financiers et des détournements importants ? Pour M. Lamiri, il serait judicieux de placer les choses en perspective. L'origine de ces scandales est multiple. Ainsi, pour créer un dispositif bancaire dans le but de financer l'économie nationale, il y a, affirmera-t-il, un certain nombre de conditions à mettre en place dans le but de développer le secteur privé ou faire en sorte à ce que le secteur bancaire public puisse jouer son rôle. Il affirmera en outre qu'“il ne faut pas déresponsabiliser les responsables, eux qui n'ont pas mis les conditions techniques nécessaires de contrôle et d'audit comme le disent les tunisiens : en matière de banque, il faut contrôler ceux qui contrôlent aussi.” Les causes de ces scandales sont, selon M. Rachid Sid Lakhdar, avocat d'affaires, de deux types : il faut d'abord revoir l'historique de ces banques privées et connaître les conditions dans lesquelles elles ont été créées. “À mon sens, l'agrément leur a été accordé dans la précipitation sans même étudier le capital social qui n'était pas assez conséquent pour garantir les activités de ces banques. Pour les banques relevant du secteur public, je pense qu'il y a lieu de revenir à la responsabilité de l'Etat. Nous constatons que tous les systèmes de contrôle mis en place par l'Etat, qui est le propriétaire des banques, sont défaillants et de plus en plus obsolètes. Nous remarquons aussi que la cour des comptes n'existe pratiquement pas, l'IGF fonctionne sur ordre, les systèmes de contrôle politiques comme la commission parlementaire n'ont pas abordé le problème technique et enfin, les banques qui fonctionnaient très bien ont perdu petit à petit leur système de régulation et d'autocontrôle”. Disparition des banques privées : manque de contrôle et de professionnalisme À cela, il faut ajouter, poursuit-il, la trop grande intervention de l'Etat dans le fonctionnement de ces banques. M. Makhloufi a souligné que depuis 2004, un dispositif a été mis en place, à savoir la réforme bancaire et financière à même de stabiliser et de sécuriser la place. Pour les banques publiques, trois causes méritent, selon lui, d'être relevées : des règles financières dépassées, l'engagement des banques sur des activités et les instruments de paiement, notamment le chèque. M. Daoudi estime que le mot “scandale” n'est pas approprié. “Scandale financier est un bien gros mot. Il faut dire que ce sont des faits inédits chez nous car ils ne se renouvellent pas chaque année. Moi, j'appelle cela des crédits abusifs. Ce sont des crédits directs ou indirects irréguliers accordés par certaines banques à des clients. Je pense qu'il y a lieu de tourner la page en tirant les enseignements. Au sein des banques, ces enseignements ont été déjà tirés. Chaque banque a mis en place, indiquera-t-il, un plan d'action institutionnel et de mise à niveau de toutes les fonctions de la banque, y compris celle relative au contrôle de gestion et du crédit en lui-même.” À la question liée à l'efficacité et l'opportunité d'un système de lutte contre le blanchiment d'argent qui devrait être opérationnel, M. Lamiri pense qu'il permettra de faire face aux obligations internationales car l'Algérie a signé des traités avec beaucoup de pays, notamment l'Union européenne. Il existe, a-t-il annoncé, des clauses liées à la lutte contre le blanchiment d'argent. Lutte contre le blanchiment : en attendant la mise en application Il y a un conseil qui supervisera et mettra en place les mécanismes nécessaires pour ce système. Il faut dire que dans les différents textes que signe l'Algérie, il devait avoir, affirmera-t-il, des mesures d'accompagnement de la part des autorités européennes pour aider les responsables algériens dans la mise en place de ces mécanismes de contrôle, des systèmes d'audit et de vérification dans le but de faire avancer les choses. “Cela dit, il est encore trop tôt pour dire si ce système est efficace ou non. On vient à peine d'édicter les lois, il faudrait attendre leur application pour le juger correctement”, reconnaîtra-t-il. M. Daoudi parlera du “risque opérationnel” au sein des banques classé dans la cartographie des risques d'une manière générale. Il citera les risques crédit, de marché et les risques opérationnels. Et parmi ces derniers, il y a le blanchiment d'argent. Au ministère, il existe une commission de traitement des renseignements financiers. Il a été également installé des cellules de lutte contre le blanchiment d'argent au sein des banques. “Nous attendons, dans ce sens, la promulgation de la loi. Une chose est certaine, c'est un risque qui fait partie de nos préoccupations dans la mesure où il est intégré dans la gestion et le suivi des risques d'une manière générale”, relèvera-t-il. Les conséquences provoquées par la dissolution de la banque Khalifa ont été également abordées lors de cette émission. À l'unanimité, les invités avoueront qu'il sera difficile à une banque privée qui souhaite s'installer en Algérie de convaincre le client algérien, car celui-ci reste échaudé par l'affaire Khalifa. Installation de banques privées en Algérie : “Difficile après l'affaire Khalifa” “Ça sera très difficile car nous avons un système dominé par les banques publiques. Il n'est pas aisé de le faire fonctionner d'une manière efficace. Car le rôle de l'Etat, c'est de réguler, c'est-à-dire d'édicter des lois, et de mettre en œuvre des systèmes de contrôle en faisant fonctionner efficacement des institutions comme l'IGF, la Cour des comptes et en auditant également celles-ci pour améliorer leur fonctionnement”, estime M. Lamiri. Il est difficile car, ajoutera-t-il, l'Etat doit maintenant à la fois réguler et gérer. Actuellement, l'Etat préfère, selon lui, renflouer les banques que de les mettre dans le secteur privé. Le même avis est partagé par l'avocat M. Sid Lakhdar. “C'est malheureux car on aimerait bien qu'il y ait des banques à capitaux privés dans notre pays. Je pense que la privatisation du système bancaire ne peut venir que du secteur public. L'Etat doit faire l'effort de susciter cette privatisation à travers les banques qu'il possède. Il y a le cas du Crédit populaire algérien (CPA) qui est une excellente idée. Il faut que les pouvoirs publics contribuent au retour de la confiance”, affirmera-t-il. “À quelque chose malheur est bon.” C'est par cette citation que le P-DG de la BDL exprime son avis à ce propos. Le choc Khalifa a permis à l'Etat, indiquera-t-il, de rectifier le tir et de promulguer d'autres lois. La loi bancaire d'août 2003 est venue pallier les insuffisances de la précédente. Elle a mis, signalera-t-il, à la charge du Conseil de la monnaie et du crédit un certain nombre de dispositions qui, auparavant, étaient régies par la loi telles que le minimum de capital, les ratios prudentiels, la limite des participations, le refinancements des banques… Toute banque privée qui voudrait s'installer en Algérie doit, précisera-t-il, venir pour renforcer le paysage bancaire. La présence de banques privées dans le secteur bancaire algérien est, pour lui, importante. Car elles stimuleront les banques publiques et tout se jouera sur la qualité des services offerts à la clientèle. “Toutefois, il ne faut pas que la banque publique reste dominante”, conclura-t-il. B. K.