À 82 ans, Me Jacques Vergès a gardé intacts sa simplicité, son humanisme et sa passion “de défendre”. C'est ainsi qu'il est apparu, ce samedi à Oran, devant un parterre extrêmement important de jeunes avocats, de magistrats, d'universitaires et de journalistes venus suivre sa conférence qui a eu lieu à l'hôtel Sheraton et ce, à l'invitation du bâtonnier d'Oran Me Ouahrani. En fait de conférence, Jacques Vergès se livrera à une “causerie” selon sa propre expression pour faire part, à un auditoire subjugué, de son expérience, de sa passion de défendre des causes souvent présentées comme indéfendables. Pendant près d'une heure, l'orateur reviendra sur cette passion de défendre, son engagement en tant qu'avocat, et son engagement politique. Une passion qui, dira-t-il, est née lors de la guerre d'Algérie quand il a eu à défendre des militants du FLN. Mais, pour le jeune avocat qu'il était, le souvenir du colonialisme à la Réunion et à Madagascar était vivace. Pendant de longs moments, Vergès évoquera alors cette période de notre histoire, en tant qu'acteur, en tant qu'avocat engagé, qui, défendant les militants du FLN, les poseuses de bombes, il comprit que dans ces procès, le combat à mener devait sortir du tribunal et s'imposer dehors et dans les médias. Là a été construite sa démarche de “défense de rupture”. “Les procès où le dialogue n'est plus possible, c'est le procès du FLN à l'époque, ce n'était pas des procès entre Français-Français… c'était de dénoncer la pratique de la torture. Chaque procès était un combat pour exalter le combat des Algériens, c'était mon combat cela a été mon baptême de feu”. Dans cette défense de rupture, la médiatisation est presque une arme, imposer à l'extérieur du tribunal le débat est indispensable comme Me Jacques Vergès le fera remarquer en citant des procès où il a assuré la défense par exemple de Klaus Barbie, à l'opposé, Omar Radad, ou encore Milosevic. Pour l'intervenant justement, dans le procès de Saddam Hussein dont il n'est plus le défendeur : “Ce qui manque c'est un relais à l'étranger… Il n'y a pas d'argumentation politique des faits qui lui sont reprochés.” Lors d'un point de presse tenu à la fin de la conférence, Me Jacques Vergès évoquera les manifestations provoquées par la publication des caricatures du Prophète Mohamed : “Ceux qui s'indignent et manifestent ont raison, parce que c'est de la provocation, ce n'est pas de la liberté d'informer de caricaturer le Prophète Mohamed avec une bombe en guise de turban… Est-ce que Charlie Hebdo aurait publié des caricatures de Sharon avec un cadavre de Palestinien sur la tête… ?” Et d'ajouter : “Il n'y a pas de choc des civilisations, c'est de l'ethnocentrisme c'est tout !” Par rapport à la loi française du 23 février, l'orateur dira qu'elle est “manifestement scandaleuse… On pourrait même les poursuivre pour apologie de guerre, de crime. Le système colonial est indéfendable”. Mais, par ailleurs, Me Jacques Vergès ne voudra pas s'exprimer sur le fonctionnement de la justice en Algérie : “Je n'ai pas suivi, sans chercher à fuir la question”, dira-t-il encore. Concernant l'emprisonnement des journalistes, l'orateur se déclarera contre, mais en rajoutant que la liberté d'informer a ses limites. À la boutade : “Auriez-vous défendu Hitler ?” Question qui lui fut posée par des Américains et par l'un de nos confrères, il a répondu : “Je suis même prêt à défendre Bush !” Bien d'autres sujets ont encore été évoqués par Me Jacques Vergès, le terrorisme qui est “un moyen de lutte, l'arme du pauvre… Le TPI qui est une juridiction sans statut qui n'offre pas de garantie, la seule garantie, le seul espoir, c'est le combat et toucher l'opinion…” Ce qui aura importé lors de cette conférence fut d'entendre l'orateur parler d'humanisme et de la dignité humaine par-dessus tout. F. BOUMEDIENE