Il y a dix-sept années décédait Mouloud Mammeri dans un accident de la circulation. Le Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique, dont il a assuré la direction de 1969 à 1980, a édité et présenté, jeudi dernier, un ouvrage inédit intitulé “Cheikh Mohand u L'hocine a dit”. Ouvrage qui inscrit son effort pour la valorisation des cultures populaires. Ecrivain, anthropologue et linguiste, Mouloud Mammeri a laissé une œuvre marquée par une préoccupation incessante, jamais démentie : celle de recueillir et de transcrire une culture “sans écriture”. Il en a ainsi été pour les Poèmes kabyles anciens, ouvrage regroupant les poésies kabyles, notamment celles du poète de l'errance Si Mohand u M'hand dont il a regroupé et traduit les textes. Mais, une mort brutale l'a empêché de finir de rassembler les œuvres d'un autre poète, Cheïkh Mohand u L'hocine. En regroupant les fragments de cette quête, inachevée, le Centre national de recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) a édité un ouvrage en deux tomes, une version kabyle et une autre française, que Slimane Hachi, directeur du CNRPAH, a présenté le week-end dernier à Espace Noun, sympathique librairie-galerie, devenue en peu de temps un rendez-vous culturel intéressant à plusieurs égards. En évoquant ce livre, cédé à 1 200 DA les deux tomes, Slimane Hachi, préhistorien et anthropologue, a souligné que “Mouloud Mammeri a voulu que cet ouvrage paraisse dans les deux langues, dans deux tomes séparés. Cela répond à son souci de ne pas obliger le lecteur à lire ces poèmes en berbère seulement”. La fusion des textes de ces deux poètes, le premier volontairement nomade et pleinement dans la vie et l'autre sédentaire et soufi réalise le monde sous deux angles différents. D'ailleurs, la rencontre entre ces deux hommes, qui se connaissaient par leurs paroles interposées, donnera lieu à des échanges intéressants. Autre espace, le désert infini, autre poésie aux manuscrits inexistants, mais pour le scientifique la même démarche. Rachid Bellil, chargé de cours de civilisation berbère à l'Inalco (France), a évoqué L'ahellil du Gourara, “parole complexe et structurée que les Gourari eux-mêmes ne maîtrisent qu'après une longue initiation”, a précisé Mouloud Mammeri dans son ouvrage L'ahellil du Gourara paru une première fois en 1984 et réédité par le CNRPAH en 2003. “S'agissant de la poésie kabyle ancienne, Mouloud Mammeri était dans son milieu naturel. En revanche, l'ahellil des tribus Zénètes du Gourara constituait pour lui une véritable découverte. De plus, cette région n'a connu la colonisation qu'en 1903. L'ahellil s'inscrit, en conséquence, totalement dans l'intemporel. Il n'y a presque aucune allusion à la présence française”, a expliqué le chercheur qui précisera que Mouloud Mammeri a entrepris l'enregistrement de ces textes, mêlant la profane au sacré, entre 1971 et 1978. Tâche d'autant plu malaisée que les Zénètes initiés ne se mettent pas en avant, rendant l'accès à la source, l'on est bien au désert, davantage difficile. Mais au terme de ce travail de défricheur, une reconnaissance. L'Unesco a classé l'année passée l'ahellil du Gourara, menacé de disparition, comme patrimoine immatériel appartenant à l'humanité. Pour que demeure vivant le signe dans un univers minéral où le temps n'est pas de mise. S. B.