“Celui qui égorge un peuple et nie son identité peut-il dire que ce travail est positif ?” a asséné le président de la République. Abdelaziz Bouteflika ne pouvait trouver, hier, meilleure tribune pour charger à nouveau la France sur son passé colonial et ses velléités révisionnistes. Invité d'honneur du colloque international sur la naissance et l'évolution de l'Armée de libération nationale (ALN), organisé par le ministère des Moudjahidine à l'hôtel El-Aurassi, le chef de l'Etat a multiplié les assauts contre l'Hexagone. Indignation, dérision et franche colère ont ponctué ses envolées. “Celui qui égorge un peuple et nie son identité peut-il dire que ce travail est positif ?” a-t-il ironisé dans une allusion à la loi sur le rôle positif du colonialisme en Afrique du Nord adoptée par le Parlement français le 23 février dernier. Face à ce qu'il considère comme une insulte à la révolution et à ses héros, il s'en est remis à Dieu et à son Prophète. “L'insolence et l'indécence sont telles qu'on est arrivé à dire que le colonialisme nous a rendu service, alors que la génération de Novembre est encore là”, s'est-il élevé. Railleur, il louera le Tout-Puissant pour cette supposée bénédiction. À ses yeux, les motivations des locataires du Palais Bourbon ne sont pas dénuées d'arrière-pensées. “Nous devons être prudents. Ces lois décidées au nom du Parlement français ne sont pas innocentes”, a prévenu l'hôte des moudjahidine. Résolu à réparer l'affront dont ils sont victimes, il n'hésite pas à sortir ses griffes. “Sans doute, ont-ils (les Français, ndlr) goûté à cette pitance (l'apologie du colonialisme) et la prisent, nous leur en ferons goûter de plus amères”, a-t-il averti. M. Bouteflika transportera l'assistance pendant près d'une heure. “C'est cela le colonialisme. Il a peur de disparaître et ne laisser personne nous materner”, a-t-il déploré avec une note d'humour. Repousser les impulsions de l'ancienne puissance coloniale exige, à son avis, le “resserrement des rangs” et le rejet de toute “tentative d'humiliation” ou visant à asseoir le “néo-colonialisme à travers ses missions de civilisation présumée”. Les destinataires de cette exhortation sont les jeunes particulièrement. À leur intention, il prodigue la nécessité de prendre conscience des sacrifices consentis par leurs aînés pour l'indépendance du pays à travers leur engagement dans l'ALN. Devenue populaire après l'Indépendance, l'armée, selon Bouteflika, s'est distinguée par sa mission dans la préservation de l'Algérie du chaos pendant les années 90. Ce n'est pas la première fois qu'il rend hommage à l'ANP dans sa lutte contre le terrorisme. À la différence du passé, le chef de l'Etat évitera de l'égratigner. Les choses se sont-elles arrangées ? En se déplaçant, hier, à l'hôtel El-Aurassi, le chef de l'Etat avait son sujet en tête. Deux jours avant (c'était à Tlemcen mercredi dernier) après avoir menacé de manière à peine voilée de remettre en cause le traité d'amitié avec la France, devant intervenir en 2006, il revient à la charge. “Notre Révolution ne relève pas de l'antiquité grecque”, a-t-il annoncé en prélude de sa nouvelle mise au point. Au début de son laïus, le Président s'est employé à rétablir les faits historiques en décrivant le rôle véritable de la France coloniale en Algérie. “C'était un projet unique de négation de l'autre”, s'est-il indigné. L'expropriation et la dispersion de la population ainsi que le déni de ses racines étaient, à ses yeux, les visées de l'entreprise coloniale. Le soulèvement populaire qui en a résulté, dès les premières années de l'occupation, montre, d'après lui, à quel point aussi le colonialisme était destructeur. Si tant il avait un rôle civilisateur, jamais la résistance n'aurait vu le jour dans les rangs de la société, nonobstant “les différences de classes et des âges”, a précisé M. Bouteflika. Et de renchérir dans un énième sursaut d'orgueil : “Notre Révolution est l'une des plus grandes du XXe siècle. Elle a rayonné sur l'Afrique entière”, a clamé M. Bouteflika. Opposé à “la fuite en avant”, il se défend par ailleurs de vouloir “régler des comptes” avec la France ou d'être coupable d'un quelconque “acharnement” à ressasser le passé. Réactions : Mohamed-Chérif Abbas, ministre des moudjahidine : “Les pieds-noirs sont derrière cette loi” “Cette loi est l'œuvre de certains cercles aigris, dont les pieds-noirs qui ne souhaitent pas un rapprochement entre l'Algérie et la France. Pour nous, le colonialisme fait partie du passé. Nous avons accepté de tourner la page sans la déchirer car nous avons l'ambition de tisser des relations bilatérales normales, sur la base du respect mutuel. Malheureusement, l'ancienne puissance coloniale a déçu nos espoirs. Elle dit qu'elle a accompli des choses positives. Or, elle a fait œuvre de destruction. Si nous n'avons pas réagi immédiatement à la loi (du 23 février), c'est parce que nous ne voulions pas le faire de manière stupide et intempestive.” Saïd Abadou, secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM): “Nous demandons à la France d'amender sa loi” “Si la France souhaite entretenir des relations amicales avec l'Algérie, elle doit amender sa loi car nous la refusons. Il n'est ni de l'intérêt du peuple français ni algérien de garder ce texte. Où est la mission civilisatrice de la France ? Si nous nous referons à l'histoire, nous remarquerons que sa présence en Algérie était uniquement coloniale, visant à nier l'identité des algériens et les assimiler aux français par la violence, y compris la torture.” Tahar Zbiri, historique et chef de l'état-major de l'ANP : “Nous devons avoir des relations d'égal à égal avec la France” “Le général Giap (héros vietnamien de la lutte contre la France) disait que le colonialisme est un mauvais élève. La France n'a rien appris de son passé en Algérie. Elle n'avait pas ramené la civilisation, mais un sinistre. Elle a commis un génocide. Aujourd'hui, nous devons avoir des relations d'égal à égal. Nous ne devons pas céder d'un pouce sur nos droits et notre dignité. Sans cela, tout sera compromis, y compris le traité d'amitié.” Mme Louisette Ighilahriz, moudjahida de la Zone autonome d'Alger “Cette loi est une escroquerie de l'histoire” “Accepter cette loi est une trahison pour nos millions de chouhada. Je commençais à avoir des angoisses car l'Etat a tardé à réagir. Heureusement qu'il a fini par répondre. La colonisation est synonyme de violence. À ce titre, la loi du 23 février est une escroquerie.” S. L.