La réserve de Réghaïa est l'une des 526 zones humides réparties à travers le pays. Déclarées en alerte rouge, elles sont l'objet de dispositifs de prévention de l'apparition du virus H5N1. La remontée des migrateurs d'Afrique subsaharienne, en perspective de leur retour en Europe, est attendue avec une grande appréhension. Le maire exhibe le BRQ (bulletin quotidien de renseignement) du jour, élaboré par le Bureau d'hygiène communal sur le dispositif de prévention de la grippe aviaire en application dans le marais de Réghaïa. “Grâce à Dieu, jusqu'à maintenant, aucun cas n'est décelé”, se félicite l'élu. Après avoir eu à subir le séisme de 2003 dont le siège de l'APC porte encore les stigmates, et des inondations, il n'ose imaginer qu'une autre catastrophe, de la taille d'une épidémie, s'abatte sur sa localité. “Il ne manque que la grippe aviaire pour couronner mon mandat”, ironise-t-il. Le sort, la géographie sans doute, joue à Réghaïa de mauvais tours. Sa place de choix dans le dernier bastion de la Mitidja, en bordure de la Méditerranée, lui coûte cher. L'ultime vestige de cette plaine luxuriante et marécageuse est son lac. Il y a une dizaine d'années, il était déjà l'objet d'une grande préoccupation car des terroristes y avaient trouvé refuge en creusant des casemates dans ses maquis. Aujourd'hui, à la place des visiteurs à barbes, d'autres à plumes accaparent l'attention des autorités locales et nationales. Comme les autres zones humides disséminées à travers le pays, la réserve naturelle de Réghaïa est placée sous alerte rouge car elle doit accueillir, dès le printemps, des colonies d'oiseaux migrateurs qui transiteront par ses berges au cours de leur voyage retour vers l'Europe de l'Ouest, plus exactement en Camargue. L'objectif du dispositif mis en place est d'empêcher la contamination des volatiles locaux par leurs congénères en évitant qu'ils entrent en contact avec eux. Le plan de prévention concocté par le ministère de l'Agriculture en collaboration avec la direction générale des forêts est exécuté par des cellules de veille qui impliquent des vétérinaires, des épidémiologistes, des ornithologues et les conservateurs des forêts. “Nous avons reçu des instructions dès le début du mois de ramadan, quand il y a eu les premiers cas de grippe aviaire en Asie”, note Taleb Abdrahmane, directeur général de la réserve de Réghaïa. L'automne correspondait à la première étape des pérégrinations des oiseaux, qui avaient anticipé le froid du Nord en allant se réfugier en Afrique subsaharienne. Leur escale en Algérie ayant été sans incident, leur prochain passage ne doit avoir aucune trace également. C'est une question de vie ou de mort ! “Il s'agit juste d'être vigilant”, tempère M. Taleb. La proximité de la réserve des administrations centrales l'assujettit pourtant à une attention accrue. “Tous les regards sont focalisés sur ce site”, admet le directeur. Dans son bureau, le téléphone sonne très régulièrement. Un à un ses correspondants lui demandent si la grippe aviaire n'a pas profilé à l'horizon, dans le gosier d'un anatidé. “Il n'y a rien à signaler”, répond-il inlassablement. Petite par la taille (842 hectares contre 2 700 hectares pour le lac Tonga à El Kala) mais importante, compte tenu de sa situation névralgique dans la capitale, la réserve de Réghaïa est une vitrine. Elle réfléchit la stratégie engagée dans la guerre contre le virus H5N1. Le site affiche cet engagement au pas de sa porte. Sur des avis illustrés décorant les murs de l'entrée, les gardes forestiers sont incités à éviter le contact avec des volatiles ou des mammifères morts, trouvés dans les bois. Leur ramassage échoit aux vétérinaires. “Ils portent des combinaisons”, assure le directeur du lac. Fort heureusement, le spectacle est loin de ressembler à ces images venant d'Italie, de Grèce et d'Allemagne où des cygnes trépassés sont enfouis dans des sacs par des hommes emmitouflés comme des cosmonautes. L'essaimage de la grippe aviaire çà et là en Europe et son extension à l'Afrique, notamment au Nigeria où des cas ont été déclarés positifs, fait craindre le pire. “Les oiseaux qui vont remonter du Nigeria ne vont pas passer par l'Algérie mais par un autre couloir qui traverse le Maroc”, s'échine à dédramatiser M. Taleb. Tout autour de lui, la fièvre grippale monte. Saidal va produire du Tamiflu pour renforcer les stocks d'importation du ministère de la Santé. Le chef de ce département est président d'un comité de prévention qui regroupe une quinzaine de ministères. Mais au lac de Réghaïa, on s'efforce à rester calme. La quiétude des lieux dépeint sur ses locataires. Ils sont sereins. Sous le soleil de février qui embrasse la réserve, Bachiri Djamel, chef du service technique, et Faradjou Kamel, conservateur principal des forêts, entreprennent de nous faire visiter le site. Des canards colvert et des souchets se baignent dans le lac. Ils font partie d'espèces sédentaires et de nicheurs qui ont trouvé en cet endroit leur havre de paix. La zone humide est prise en tenaille entre les communes de Réghaïa (au nord) et de Heraoua (au sud). Son marais est un estuaire qui charrie les eaux pluviales vers la grande bleue. En dépit de la pollution industrielle aggravée par l'arrêt de la station d'épuration locale, les oiseaux affluent. Les roseaux et les scirpes sont les murs qui les protègent. Un peu plus de 200 variétés de végétaux, dont de luxuriants maquis, ornent la réserve parsemée de nids où roucoulent 203 espèces d'oiseaux dont 4 rares et protégées par la législation internationale. Doté d'un centre cynégétique créé en 1983, le lac est réputé pour être une pépinière où sont élevés des volatiles en voie de disparition et destinés au repeuplement des diverses zones humides à travers le pays. Des gîtes abritent pèle mêle des canards colvert, des sarcelles marbrées, des oies cendrées, des oies d'Egypte… Les oiselets sont mis au chaud dans des cages à l'intérieur de remises. Les adultes occupent des volières grillagées. Les clôtures qui doivent les empêcher de fuir sont désormais leur protection. Chaque grille est surmontée d'un fil qui, en sifflant au vent, éloigne les anatidés en effraction. “C'est une ruse utilisée par les agriculteurs, de telle sorte que les oiseaux étrangers ne s'approchent pas des oiselleries et y laissent leurs déjections”, explique M. Bachiri. Le chef du service technique longe les différentes basse-cours. Dans un havre ombragé paressent des paons. A l'entrée, une petite flaque d'eau blanchie par la chaux est érigée en paillasson aseptique que le vétérinaire de la réserve et les agents affectés à l'alimentation sont obligés de fouler. “Quelquefois, nous utilisons de l'eau de Javel”, révèle le jeune vétérinaire. L'insuffisance des moyens de prévention encourage le recours au système D. La liste des équipements en manque dans la prévention de la grippe aviaire recèle des articles de capture déterminants. “Par exemple, nous n'avons pas de tenues de camouflage, de fusils lance-filets, des trappes…”, déplore le directeur de la réserve. La crainte que l'un des 7 000 migrateurs, qui vont bientôt remonter d'Afrique, soit un oiseaux de mauvais augure, est difficilement contenue. M. Taleb admet qu'il lui sera très pénible ainsi qu'à ses hommes d'affronter seuls un aussi terrible sort. Dans le cas où le virus H5N1 est repéré, le plan Orsec sera déclenché. Ce dispositif prévoit “la solution finale”, soit la destruction des volatiles. Chaque jour qui passe est un sursis. “Actuellement, tous les décès sont naturels. Ils sont dus soit à la fatigue ou à la vieillesse. Quelquefois, ils ont pour origine des empoisonnements”, remarque M. Taleb. Des postes d'observation sont érigés dans le périmètre de la réserve. A l'aide de télescopes, les scrutateurs font le comptage des volatiles et guettent parmi eux les individus suspects. Auparavant, les oiseaux migrateurs étaient accueillis comme des invités de marque à Réghaïa. Des flamands roses se déposaient allègrement dans son marais. Devenus encombrants, pis dangereux désormais, ils sont attendus avec anxiété. “Leur séjour devra être très court car ils seront pressés de retourner en Europe pour la saison de reproduction”, se rassure le directeur. S. L.