L'émission panarabe produite par Endemol, au-delà de la polémique, connaît un vrai succès public, notamment chez nous. Sans doute un peu grâce aux qualités et à la personnalité de la candidate algérienne, mais aussi parce que les Algériens, très friands des SMS, aiment voir leur pays représenté. L'embrassade est longue. Sous les applaudissements de la salle en délire, une femme toute de noir voilée ne veut plus lâcher Mohamed Ibrahim. Elle le serre, le cajole. Pour l'apprenti star koweïtien, la surprise et l'émotion sont au paroxysme. Il avoue n'avoir jamais rêvé d'un tel cadeau d'anniversaire. Sa mère en personne a fait le voyage jusqu'à Beyrouth pour lui témoigner sa fierté et son amour. Cela fait des semaines qu'il est enfermé, coupé du monde, avec les autres candidates et candidats de la troisième Star Academy arabe. Dans le public aussi l'émotion est palpable ; une jeune femme agite un drapeau koweïtien, une autre brandit un poster du candidat. Sous l'œil attentif de Tony, le chef du plateau, les caméras captent cet instant de bonheur intense. Dans tout le monde arabe, par la magie du satellite, des millions de personnes suivent cette communion que seule la téléréalité sait encore fabriquer et offrir à profusion. Raillée à l'Occident, cette émission à succès prend ici au Liban une autre dimension. “C'est l'Europe et l'Asie se fondant en molles caresses”, écrivait au XIXe siècle Gérard de Nerval à propos de Beyrouth. Aujourd'hui, sur le plateau de la Star Academy, il écrirait que le monde musulman et le monde occidental s'y opposent frontalement. En exhibant de manière crue le contraste entre globalisation et identité religieuse, l'émission produite par Endemol touche bien involontairement au cœur des conflits des sociétés arabes aujourd'hui. Sur le plateau, on a le sentiment d'être téléporté à Londres, Paris, Barcelone ou Los Angeles. Tout y fait penser. Le look d'abord. Coupe de cheveux, maquillage, botox pour certaines jeunes filles ; ici, la mode est suivie pas à pas. Toutes les marques en vogue sont portées, sans faute de goût. Seuls quelques hidjabs et les drapeaux attestent, pour un non-initié, que nous sommes dans un pays arabe. Dans les gradins, l'ambiance est électrique ; une jeune bimbo au second rang hurle le nom de Fady. Pourquoi ? “Parce que c'est le plus beau.” La réponse fuse comme une évidence. Ici, on n'est pas là pour se poser des questions existentielles ou politiques. Fady est le plus beau et cela suffit. Qu'il soit libanais d'origine palestinienne ne change rien à l'affaire. Il est juste le plus beau. La seconde vedette s'appelle Joseph ; il est également libanais. Toujours pour les mêmes raisons qui n'ont rien avoir avec ses performances artistiques. “Qu'est-ce qu'il est beau !” Le vote étant majoritairement féminin, ils ont le plus de chance de l'emporter. Une candidate face au nationalisme arabe La musique est diverse. De Faïrouz à Warda en passant par des chansons occidentales. Le public explose à l'annonce des Four Cats, le premier girls band du monde arabe. Les quatre filles sont sexy ; elles feraient pâlir les hommes dans n'importe quelle boîte de nuit et, du Maroc aux Emirats, ce sont déjà de véritables stars. Au milieu, Rym la candidate algérienne, chante en arabe. C'est son point faible. Tout le monde vous dira dans le public que “Rym est très sympa, qu'elle a une bonne personnalité et qu'elle chante très bien en français et en anglais, mais qu'elle doit faire des efforts en arabe”. La spécificité de l'identité algérienne se retrouve même à la Star Academy. Les emblèmes saoudien, tunisien, égyptien et libanais flottent au gré des apparitions des candidats. C'est une émission faite pour célébrer la fraternité arabe, mais rapidement chacun retrouve des réflexes nationalistes. Sur un canal de LBC, qui retransmet en continu la vie des académiciens, les SMS en français, en arabe ou en anglais venus de tout le monde arabe sont sans ambiguïtés, les Algériens supportent l'Algérienne, les Saoudiens les candidats de leur royaume… Sur la scène, Mohamed Fahd, un apprenti star saoudien, joue le Michael Jackson. Sur le tube Thriller, “les académiciens” grimés en morts vivants se déhanchent en rythme. La chorégraphie est maîtrisée, tout est réglé comme du papier à musique. Professionnel, Tony donne des ordres immédiatement exécutés. Les décors se succèdent. Il est prêt à parler de tout ce qui concerne l'organisation, mais ne dira pas un mot sur les polémiques que la Star Academy a suscitées dans de nombreux pays. Même déni du côté des “professeurs”. Ils sont assaillis de demandes d'autographes à chaque pause publicitaire, mais refusent de parler des problèmes que pose l'émission. Le public est plus loquace. Deux jeunes Saoudiennes ont fait le voyage de Riyad pour venir assister à l'émission. L'une d'elles considère que “l'émission est contre l'islam, cela ne se fait pas de faire danser des hommes et des femmes ensemble. Ils se touchent”. Elle est immédiatement contredite par sa compatriote qui considère que cela n'a rien avoir avec la religion ; “les jeunes filles ne font rien de mal. Elles chantent et dansent, mais rien de plus”. Il est certain que l'émission leur pose problème, et si elles ne devaient retenir qu'une chose pour expliquer pourquoi elles la suivent, c'est la liberté. Les deux Saoudiennes envient “ces filles qui ont choisi d'être libres et de pouvoir en conséquence faire ce qu'elles aiment. Il faut les supporter”. Les filles et la modernité Pour certains religieux ou traditionalistes, certaines danses choquent. Voir danser des jeunes musulmanes en blouse d'infirmière ultra-courte doit en faire frémir plus d'un. La mixité honnie est ici la règle. “Ils n'ont qu'à ne pas regarder, personne ne les oblige”, explique une jeune émiratie en hidjab blanc immaculé ; elle refuse de culpabiliser et préfère insister sur le ton prude des conversations : “Il n'y a rien de déplacé et, le soir, les femmes et les hommes dorment séparément.” Le ton est tranchant, à la hauteur sans doute de son envie de “voir des choses cool sur les télévisions arabes”. Assise à côté, une Algérienne tempère : “Ces filles sont le modèle de la libération de la femme arabe. Notre drame est de ne pas avoir le choix qu'entre l'enfermement et le modèle occidental de la femme, objet de désir sexuel. Il faudra bien que nous trouvions notre propre voie.” Débat sérieux, débat profond qu'on n'aurait jamais imaginé sur un plateau de téléréalité. Pour la jeune Algérienne, même “l'image traditionnelle de l'homme arabe est transfigurée. Regardez, aucun candidat ne porte de grosse moustache, et la virilité n'est pas le premier trait mis en avant. Certains n'hésitent pas à pleurer devant les caméras”. Les Algériens fous de SMS Comme tous “les primes”, le clou de la soirée est la sortie d'un candidat. Rym a déjà été nominée quatre fois. Les mauvaises langues entendent que comme les Algériens votent beaucoup par SMS pour la maintenir dans l'émission et que la chaîne LBC gagne de l'argent sur chaque vote, elle a intérêt à nominer souvent la candidate algérienne. Ce soir, Mohamed Fahd, un candidat saoudien, a demandé à sortir, et c'est sans surprise que le public accède à ses vœux. Les autres “académiciens” pleurent ; on s'enlace, se console. Cela fait dix semaines qu'ils sont ensemble, la séparation promet d'être difficile. Le public quitte le plateau ému et ravi. Certains finiront la soirée sous un bouddha géant au Bouddha Bar, au Taboo ou au Crystal, les lieux branchés de la nuit beyrouthine. Alors que le studio est désert, que les candidats ont regagné leurs appartements, Mohamed Fahd dit au revoir à ses amis. Tout le monde crie, mais les épaisses vitres ne permettent pas de savoir ce qui se dit. Il retourne à Riyad soulagé. “La pression était trop forte. Je préfère rentrer dans ma famille.” L'apprenti star sait que sa présence ici n'est pas anodine : “Je suis conscient de ne pas faire l'unanimité dans mon pays. Je suis le premier chanteur de Riyad ; beaucoup de gens ont protesté contre ma présence dans l'émission, mais en même temps, je sais que mes parents ont reçu beaucoup de cadeaux et de messages de soutien. C'est comme cela qu'on change les choses, petit à petit.” Il se retourne et s'en va seul, la guitare sur le dos, dans la nuit étoilée. Il médite sans doute ces mots du poète palestinien Mahmoud Darwich : “Beyrouth est devenue la chanson des différences et des divergences sans que la foule de ses amants se demandent s'ils sont à Beyrouth ou dans leurs rêves.” A. T.