Au départ était le Seminov. Le fameux SKS de 10 coups que tous les militaires de l'ANP ont eu à manipuler du simple HDT au général. Dans les guérites froides et dans les casernes, le fusil russe, qui a eu son heure de gloire à Stalingrad, a symbolisé 40 années de coopération militaire algéro-russe. Mais si depuis ce temps, l'architecture de l'appareil militaire algérien a toujours été russe, rien n'indique que la professionnalisation de l'ANP induit forcément un mariage de raison avec les armureries russes. C'est dans cette équation que résident les enjeux de la discussion entre le président Bouteflika et son homologue russe, Vladimir Poutine, qui arrivera à Alger ce vendredi. Trop de choses ont été dites sur le montant des contrats d'armements oscillant entre 1 et 5 milliards de dollars et sur la nature des équipements militaires, pour l'essentiel une flottille de 37 chasseurs MIG-29 SMT, 28 chasseurs Sukhoi-30, 8 systèmes de missiles sol-air et des chars de combat T-90 S. Dans cette transaction, comme dans toute autre, et au-delà du montage financier (reconversion de la dette), ce sont les positions des industries russes, sous l'autorité du Kremlin, et les demandes du MDN, sous les auspices de la Présidence, qui méritent d'être connus. Ainsi, du côté russe, ce marché est certes commercial, mais également stratégique. Depuis l'arrivée de Poutine, la Russie a tenté de conquérir des marchés nouveaux, mais aussi de rassurer les clients “historiques” de ses industries militaires dont l'Algérie qui figure parmi les plus privilégiés. Depuis des lustres, l'ex-Armée rouge fournissait un package classique, équipements-formation-pièces détachées, qui faisait de ses clients ses partenaires exclusifs afin de pérenniser une relation militaire stratégique avec les anciens régimes arabes dits “progressistes”. Avec l'arrivée de Poutine aux commandes et la perte progressive des Russes des marchés au profit d'industries plus agressives et moins coûteuses, Moscou a décidé de soutenir les grandes firmes d'armement russes pour les aider à écouler leurs équipements. Ainsi, une société comme Rosoboronexport, l'organisme public russe qui traite le plus avec l'ANP, a été instruite pour, non seulement concrétiser des contrats, mais également tenter de dissuader un client comme l'Algérie de ne pas contractualiser avec des firmes chinoises, indiennes mais surtout de l'Europe de l'Est comme la Biélorussie, l'Ukraine ou la Géorgie. Pour les militaires russes, l'Algérie, renflouée financièrement, est attractive car elle ne peut faire autrement que d'alimenter son parc blindé ou aéronautique par des pièces détachées russes, corollaire naturel de ce type de contrats. Les Russes craignent que les militaires algériens, dotés d'une enveloppe conséquente et courtisés actuellement par de grandes firmes d'armement occidentales, ne commencent à revoir le squelette de l'appareil militaire algérien. En face, l'approche du président Bouteflika est pragmatique — “Combien ça coûte ?”—, comme pour insinuer aux Russes que non seulement l'Algérie n'est pas dépensière sans être regardante sur le rapport qualité-prix, mais surtout que les possibilités offertes par les autres puissances en matière d'équipements —militaires — fin de l'embargo oblige, peuvent inciter les militaires algériens à ne pas acheter “obligatoirement” russe. Au MDN, on sait que la relation avec le complexe militaro-industriel russe a toujours été bonne, mais les impératifs du libéralisme, sur les deux pays, supposent une négociation qui exclut de facto les pesanteurs stratégiques. En clair, les dollars semblent avoir remplacé le pacte d'antan que Moscou a contracté aussi bien avec Alger que Damas. Sur un autre plan, l'ouverture des industries russes sur d'autres pays du Maghreb, notamment le Maroc, induit également que les rapports entre Alger et Moscou ne sont pas nécessairement inamovibles. Comme la Russie a le droit de vendre ses missiles à Rabat, Alger a également le droit de prospecter d'autres équipementiers sans pour autant rester figé dans une relation stratégique unilatérale, d'où le rapprochement avec des Américains qui surveillent de près le contrat que vont signer Bouteflika et Poutine. En décodé, l'heure n'est pas à la nostalgie du Seminov. Mounir B. Lire tout notre dossier en cliquant ici