L'une des plus belles et plus vieilles communes d'Algérie est toujours en deuil. Elle se dit pourtant déterminée et plus vigilante que jamais. “Le cœur n'y est pas, mais il faut bien continuer à travailler. Les citoyens nous ont élus pour”. Un mois après l'assassinat du maire et de son premier vice-président dans un faux barrage au niveau de Sidi Abdellah, leurs ombres planent toujours sur l'APC de Chettaïbi. Leurs compagnons et collègues répriment difficilement leur tristesse dans laquelle ils préfèrent puiser le courage de poursuivre l'œuvre inachevée : “Nous le devons à la mémoire de nos amis, mais aussi à la population qui ne s'est jamais montrée aussi proche de nous depuis cette épreuve”. Solidaire, la population de Chettaïbi l'est. Pacifistes, accueillants et généreux, les Erbionais (de l'ancien nom de Chettaïbi Erbion) sont pourtant révoltés aujourd'hui. Eux qui ont accompagné massivement la dépouille de leur maire assassiné à sa dernière demeure réclament justice : “Nous ne voulons pas que le meurtre de notre maire et de son premier vice-président reste impuni” . Calmement, un jeune d'une vingtaine d'années dit exprimer le sentiment général. Attablé au café principal de la ville avec des amis, il regarde le match USM Annaba-USM Alger, sur un grand écran de télévision placé en hauteur. La salle est presque pleine, mais curieusement silencieuse, contrairement à l'ambiance attendue dans pareilles circonstances. Erbion n'est pas seulement triste, elle est aussi inquiète. “Le terrorisme est un phénomène nouveau pour nous ; son apparition dans la région remonte à peine à deux années.” Il est vrai que les années noires du terrorisme ont épargné cette commune, vieille de près d'un siècle et demi. Si ses plages féeriques, ses forêts denses et ses montagnes fières n'ont pas été souillées auparavant par la main ensanglantée des terroristes, ce n'est pas seulement grâce à la baraka de Sidi-Akacha (l'un des oualis de la région). Au dire des habitants, jamais un enfant de la commune n'a pris le maquis. D'ailleurs, ceci contribue fortement au sentiment de colère des habitants contre les intrus qui “se sont jusque-là arrangés pour commettre leurs actes à chaque début de saison estivale”, seule période où la commune se réveille et accueille chaleureusement les touristes qui permettent enfin à tous de faire des rentrées d'argent. Le gain n'est pas seulement matériel. Il est aussi psychologique, puisqu'au cours des trois mois de l'été, les habitants brisent leur solitude et assistent à l'épanouissement de leur belle ville qu'ils aiment tant et dont ils sont si fiers. La fierté d'appartenir à une si vieille et si belle ville est un sentiment qu'expriment tous les Erbionais sans exception. Il n'est même pas entamé par les difficultés économiques. Dans une ville où il n'existe aucune activité, hormis la pêche, et où les jeunes sont obligés d'aller travailler ailleurs pour ne rentrer que le soir pour les uns, la fin de semaine pour les autres, gagner sa vie est un défi quotidien. Force est de constater pourtant que la nature généreuse dont est dotée la région et qui fait sa fierté, est à l'origine du malheur qui la frappe depuis deux ans. N'est-ce pas dans ses montagnes et sa forêt dense, constituant 90% de la surface générale, que des groupes des GSPC arrivant de villes avoisinantes ont trouvé refuge ? 30 selon les uns, 40 selon les autres, il est difficile d'établir avec exactitude le nombre des éléments. On peut dire seulement qu'ils opèrent par groupe de 6 ou 7, jamais plus. Episodiquement, ils se manifestent par des actions qui plongent à chaque fois la région dans le deuil et la tristesse. Leur arrivée dans la région a été annoncée en l'an 2000 par l'assassinat à Aïn Abdellah, une mechta relevant de la commune, d'un jeune qui venait d'effectuer son Service national. En 2001, c'est dans une embuscade tendue auxniveau du pont Cavala que le chef de brigade de la gendarmerie a laissé la vie après de bons et loyaux services rendus à l'Etat et à la population. En 2002, c'est Aïn Abdellah qui sera encore une fois endeuillée avec l'assassinat d'un vieux. Après le drame qui avait frappé cette mechta en 2000, suivi par plusieurs descentes de terroristes qui demandaient de l'argent et des provisions, les habitants avaient déserté leurs maisons. Obstiné comme tous les paysans aimant leurs terres, le vieux revenait régulièrement au cours de la journée travailler la sienne. Il le payera de sa vie. Les terroristes l'ont égorgé, abreuvant sa terre de son sang. En 2002, c'est au tour de Zaouia, à l'entrée de Chettaïbi de connaître le deuil et les larmes avec l'assassinat de Ammi Moh, un Patriote dont le souvenir est fortement présent aujourd'hui encore dans les cœurs et sur les lèvres de ses compagnons de combat et leurs familles.“C'était un être exceptionnel de courage et de générosité”. Le 5 janvier dernier, Chettaïbi est secouée par la nouvelle de l'assassinat de son maire et de son premier vice-président dans un faux barrage au niveau de Aïn Abdallah. Hébétée, la population a accompagné massivement le cercueil d'un maire qui, s'il n'a pas eu le temps de faire ses preuves, n'en demeure pas moins un symbole “En tuant notre maire, c'est Chettaïbi qu'ils ont assassinée”. Les habitants se serrent les coudes : autorités locales, gendarmerie, garde communale, population et patriotes font désormais front commun contre les terroristes. Ils se disent plus vigilants que jamais pour faire face à un ennemi sans visage. Comme pour marquer encore sa présence, celui-ci a opéré une autre descente le 3 février dernier à Zaouia. Profitant de la coupure du courant, des terroristes se sont attaqués à la station Aïn Doukara qui alimente la ville en eau potable après avoir ligoté et violenté le gardien. Auraient-ils empoisonné l'eau ? Les analyses du laboratoire devraient le démontrer. En attendant, la population est alimentée par des citernes de la municipalité. Chettaïbi était heureuse de bénéficier enfin de quantités suffisantes d'eau potable, pompée à partir de Guerbaz à Skikda. Les habitants prévoyaient une saison touristique au moins aussi bonne qu'en 2000, favorisée notamment par les évènements malheureux vécus par la ville d'El-Kala. Les éléments des GSPC ne l'entendaient pas de cette oreille. “La sécurité d'abord et avant tout”, affirment les Erbionais qui se disent conscients que sans la stabilité, il est inutile d'espérer les investissements dont la commune a cruellement besoin. Stabilité et sécurité, deux soucis à l'ordre du jour ayant relégué presque aux oubliettes l'épineuse question des 17 carrières à l'arrêt depuis dix ans et dont le pavé renommé couvre les chaussées de Paris, Marseille, Lyon et de grandes villes d'Algérie, ainsi que le projet maintes fois abandonné par des entreprises privées et publiques d'un hôtel, le premier dans une ville dont les potentialités recèlent une mine d'or pour le tourisme. Pour l'heure, la commune est dans l'expectative de jours meilleurs. En attendant, Soualem, Méchoir El-Arab et Aïn Abdallah sont désespérément vides après que les habitants les eurent désertées. Avant, le chômage chassait les enfants de Chettaïbi vers d'autres cieux. Aujourd'hui, le terrorisme, phénomène nouveau dans la région, s'y met de la partie. Le destin des Erbionais serait-il de ne jamais profiter pleinement de ce cadeau de la nature ? F. H.