Politisé et instrumentalisé par les mouvements fondamentalistes qui en ont fait un enjeu de prosélytisme, le port du hidjab a pourtant mué en Algérie sous les effets conjugués des influences extérieures, essentiellement orientales. “L' Algérie n'a pas la culture du hidjab.” La sentence est du président Bouteflika qui en a étonné plus d'un lors de la fête de la femme, le 8 mars dernier, en appelant les Algériennes à ne pas abandonner leur culture nationale et leurs costumes traditionnels. Car le hidjab, s'il ne fait pas débat dans un pays musulman, a toujours symbolisé des luttes idéologiques aussi bien sur le statut de la femme que sur la définition des fameuses “valeurs nationales”. Politisé et instrumentalisé par les mouvements fondamentalistes qui en ont fait un enjeu de prosélytisme et une manière d'imposer leur marque sur la société, pas assez “islamique” selon eux, le port du hidjab a pourtant mué en Algérie sous les effets conjugués des influences extérieures, essentiellement orientales, et même des campagnes successives en Occident contre le port du “foulard islamique”. Qu'en est-il aujourd'hui ? Depuis le retour progressif à la paix, les luttes politiques se sont transposées sur le terrain social. À son arrivée, Bouteflika a tenté de décomplexer les Algériens en prônant une sorte d'égalitarisme vestimentaire avec sa fameuse phrase disant que tout le monde est libre de s'habiller comme il veut “en minijupe ou en kamis”. Cette notion des libertés est pourtant la ligne de démarcation naturelle des islamistes qui, faibles sur le plan politique (ils ne font pas 6% en représentation législative), se sont rabattus sur le terrain social pour faire en sorte de reconquérir des espaces d'influence. Les indices en cette année 2006 leur donnent toute latitude de relancer leur stratégie déjà éprouvée soit à l'époque de l'émergence des Frères musulmans algériens au début des années 70, soit lors de la Sahwa islamya dans les années 80. Avec, comme toujours, la femme au cœur de leur problématique, ainsi que le port du hidjab. Certains observateurs avancent des thèses assez lénifiantes et expéditives en imputant le retour des signes ostentatoires de l'islamisme aux effets “pervers” de la charte de la réconciliation nationale et à une prétendue “crise mystique” du Président qui aurait frôlé la mort et s'est réfugié dans la religiosité. C'est méconnaître la démarche structurelle des tenants de l'islamisme qui, avec ou sans Bouteflika, appliquent les mêmes fondamentaux qui ont fait le succès de tous les mouvements islamistes à travers le monde arabe. C'est sous-estimer également la capacité de Bouteflika à couper l'herbe sous le pied des tenants du discours islamiste. La seule variante actuelle pour les jeunes Algériennes qui sont au centre de ces enjeux est l'apparition de nouveaux phénomènes de prosélytisme soft, calqués sur des méthodes modernes de marketing télé qu'incarne parfaitement un personnage comme Amr Khaled. Prédicateur hors normes, son nom est connu des jeunes Algériennes qui, par SMS, e-mail ou courrier, inondent son site Internet et sa maison de production “Right Start”, lui demandent conseil sur leur vie de musulmanes avec des interrogations récurrentes sur le port du hidjab. Amr Khaled est l'antithèse du prédicateur vociférateur qui promet l'enfer à ceux qui vont à l'encontre des préceptes islamiques. Sur la question du voile, son raisonnement est efficace et séduisant et tape au cœur de cible des jeunes musulmanes. Ancien de la confrérie des Frères musulmans, diplômé d'économie à la faculté du Caire, il avait testé son discours dans les salons de la bourgeoisie cairote auprès de femmes célèbres et a réussi à faire mettre le hidjab à des stars du cinéma et de la chanson égyptiennes. Côté algérien, on compte à son palmarès des gens connus comme la journaliste présentatrice d'Al Jazeera, Khadidja Bengana. Reste que Amr Khaled participe par truchement de la télévision à fonder une nouvelle sociologie du comportement et de l'attitude vestimentaire en Algérie comme dans d'autres pays arabes. Les jeunes Algériennes qui étaient en maternelle à l'époque de l'émergence du FIS comptent parmi ses fans. On ne lui connaît aucun équivalent en termes de prédication en Algérie. D'où le glissement du débat sur l'idéologisation du hidjab du terrain politique vers le terrain social. Sur ce plan, les valeurs que défend Bouteflika en tant que garant de cette nation butent sur l'absence de repères identitaires et culturels strictement algériens face à la montée en puissance d'un prosélytisme d'un genre nouveau qui, comme le kebab, vient d'un Orient qui succombe aux courants de l'islamisme à vitesse vertigineuse. Mounir B. Lire tout le dossier en cliquant ici