Ils sont sollicités pour la prise en charge des victimes des violences. “Dans le contexte de la réconciliation nationale, nous sommes appelés à prendre en charge les victimes de la tragédie nationale, toutes les victimes, sans exclusion. Mais nous ne pouvons nous acquitter d'une telle mission si l'Etat ne met pas les moyens matériels et humains qui s'imposent”. La déclaration est de M. Khaled Keddad, président du Syndicat national des psychologues (Snapsy). C'était lors d'un point de presse qu'il a animé hier au siège du Snapap, à Bab-Ezzouar, faute d'un siège propre (alors que le Snapsy est agréé depuis le 14 septembre 2004). Oui. Nos psys du service public sont appelés à jouer un rôle important dans la prise en charge des victimes de la “tragédie nationale”, y compris les “fous de Dieu”. En l'occurrence, le conférencier a indiqué que “le ministère de la Solidarité fait appel à des psychologues pour des séances de victimologie et autres groupes de parole. Mais les psychologues des structures de santé publique sont davantage concernés par cette opération, eux qui ont eu à gérer des situations complexes suite aux inondations de Bab El-Oued en 2001 ou le séisme du 21 mai 2003”. Et de souligner : “Mais l'on ne peut mener à bien une telle mission si l'on n'a pas les moyens. On ne peut décréter la paix sociale sur papier. Il faut une prise en charge réelle de la problématique psychologique dans la réconciliation nationale, sinon, ça sera une opération purement formelle, superficielle, et un jour, la poudrière explosera de nouveau.” Voilà qui nous renvoie au quotidien morose de nos praticiens de la santé mentale. Quotidien que résume le président du Snapsy lorsqu'il s'écrie : “Comment voulez-vous que le psychologue soigne ses patients s'il est lui-même fatigué, déprimé, démoralisé ?” Dans la foulée, l'orateur dressera un état des lieux pour le moins alarmant sur les conditions de vie et surtout de travail de nos psychologues fonctionnaires. Pas de statut clair, salaires dérisoires ne dépassant pas le plus souvent les 11 000 DA, discrimination par rapport au régime indemnitaire, formation bancale complètement en déphasage par rapport à la réalité, absence d'un plan de carrière, absence de moyens matériels dans les structures de santé publique, bref, la liste est longue et il y a de quoi “faire péter les plombs” à Lacan himself. “Pourtant, il y a une forte demande de prise en charge psychologique de la part de la société. Les besoins en santé mentale sont énormes. Il suffit d'aborder n'importe quel Algérien et il vous explose à la figure. La violence est un problème quotidien et sous toutes ses formes : violence de la décennie rouge, violence conjugale, violence routière, violence dans les stades, toxicomanie…” Le tableau de la santé mentale en Algérie est sombre : 155 000 personnes, souffrant de pathologies mentales, sont officiellement recensées, dont 20 000 enfants. 5% des Algériens souffrent de troubles psychiques. “Ainsi, sur 30 millions d'habitants, 1,5 million souffrirait de maladies mentales”, affirme M. Keddad. Nous avons en moyenne 1 psychologue pour 96 698 habitants. Dans des wilayas entières comme Illizi, il y a zéro psy. “Vous savez, 582 psychologues titulaires seulement sont recensés dans le secteur de la santé. Dans celui de la Jeunesse, il y a 250 psychologues et dans la Solidarité, 882, dont des vacataires et des contractuels”, précise Khaled Keddad. Pourtant, en amont, les instituts de Bouzaréah et d'ailleurs produisent des psys à la pelle : “L'université forme des milliers de psychologues pour qu'à la fin, ils ne trouvent pas de place sur le marché de l'emploi. Les spécialistes en psychologie scolaire par exemple n'ont aucun statut. Ils sont recrutés dans le cadre du pré-emploi et n'ont aucun plan de carrière. Beaucoup de diplômés en psychologie finissent pompiers, policiers ou secrétaires”, dissèque le conférencier, lui-même clinicien. “Les psychologues de la santé publique n'ont ni bureau, ni instruments, ni rien. Si je dois examiner un enfant, je dois envoyer ses parents chez un privé pour un test psychologique à 5 000 DA et ce n'est même pas remboursé”. Nos psys sont ignorés. Méprisés. Marginalisés. Le statut particulier qui régit la profession (décret exécutif n°91-111 du 27 avril 1991) est complètement dépassé tout comme la formation des psychologues. “Nous n'avons pas de psychothérapeutes en Algérie. On ne peut pas devenir psychologue clinicien avec un bac + 4. Il y a un fossé vertigineux entre la formation et la réalité. Un jeune diplômé se retrouve d'emblée devant le cas d'une victime du terrorisme sans qu'il n'ait jamais étudié la victimologie”, observe Khaled Keddad. Le Snapsy, souligne-t-on, a pris langue avec Tou, avec le ministère du Travail, avec d'autres. Peine perdue. L'administration est restée souverainement, “autiste” face aux doléances du syndicat. Mustapha Benfodil