Pour le Chef du gouvernement, l'Etat ne permettra “jamais” le retour à la situation politique de 1991. Une autre note vient s'ajouter à la partition contre un éventuel retour à la vie politique des islamistes qui viennent de bénéficier des mesures de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a mis en garde hier, deux jours après la sortie de son ministre de l'Intérieur, contre tous ceux qui seraient d'aventure tentés par un retour au début des années 90, de triste mémoire. “L'Etat veillera à appliquer la loi relative à l'interdiction de toute activité politique pour les personnes responsables de la tragédie nationale (…) En aucun cas, l'Algérie ne peut revenir à l'anarchie des années 1990”, a indiqué Ahmed Ouyahia lors d'une conférence de presse animée à Alger et destinée à présenter le bilan d'une année d'activité. “La situation, qui a prévalu 15 jours après la mise en œuvre des textes de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, ne durera pas”, a-t-il tranché en réponse notamment à une question sur les récentes déclarations de certains islamistes libérés, comme l'ex-numéro deux du parti dissous, Ali Benhadj, et l'ancien responsable du GIA, Layada. Cette situation trouvera un “terme” et l'Etat, qui a rétabli l'ordre et la sécurité, ne sera pas un “acteur politique”, a ajouté le chef de l'Exécutif. Histoire probablement de rassurer l'opinion tant les questions de la presse nationale focalisaient essentiellement sur les craintes suscitées çà et là par la libération de ceux qu'on qualifiait “d'égarés” dans la rhétorique officielle, il n'y a pas si longtemps, Ouyahia a réitéré que ceux dont l'activité politique est interdite restera “interdite”. “Nous allons dire à ces personnes de cesser de faire des déclarations politiques”, a indiqué M. Ouyahia, invitant toutefois “les médias nationaux à aider l'Etat à gérer cette affaire”. En clair, les médias ne sont pas tenus d'ouvrir leurs colonnes à ces responsables. L'unique certitude, cependant, chez le chef de l'Exécutif est que la charte sera appliquée à la lettre et dans l'esprit. “Je veillerai personnellement, il n'y aura ni anarchie, ni retour à la manipulation de la religion, ni retour à la violence. (…) Elle est venue accélérer la fin du terrorisme, ce n'est pas la continuation du cauchemar”, a-t-il encore assuré. 17 000 terroristes abattus. Loin d'être épuisé, le sujet portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale conduit parfois même aux indiscrétions. C'est ainsi que le Chef du gouvernement a révélé que le nombre de terroristes abattus à fin 2005 est évalué à 17 000 personnes. Quant au nombre de disparus, il est estimé à 10 000 personnes. Une liste établie en 2004. Cependant entre 2 000 et 3 000 d'entre eux ont été récusés, a indiqué Ouyahia. Mais le chiffre, qui a fait dresser les cheveux de nombreux journalistes présents, reste sans conteste celui relatif au massacre de Remka et Had Chkala en 1997, dans la wilaya de Relizane. Jusque-là on nous a toujours avancé un chiffre qui ne dépassait guère la centaine, mais la réalité est tout autre. Et Ouyahia lui-même a laissé entendre que “les autorités avaient menti”. “Vous allez nous accuser encore une fois d'avoir menti mais à Remka, 1 000 personnes ont été massacrées au cours d'une seule nuit”. Si Ouyahia évoquait ces terribles pages de l'histoire récente du pays, c'était essentiellement pour sensibiliser la société à s'impliquer dans l'entreprise de concrétisation de l'esprit de la charte. Interrogé si l'assassin présumé du président Boudiaf, en l'occurrence Boumaârafi, sera libéré ainsi que Amari Saïfi, dit Abderrezak El-Para, auteur du rapt des touristes dans le désert algérien en 2003, Ahmed Ouyahia a eu cette réponse qu'il convient sans doute de méditer : “N'oubliez pas que Boumaârafi a tué un président de la République !” Il faut noter l'absence d'allusion à El-Para, encore moins à Souaïdia dont on s'est demandé s'il est également touché par la charte. Faut-il en conclure qu'ils ne sont pas concernés par la charte ? Dans le même contexte, le Chef du gouvernement a réfuté à certains qui se sont improvisés, allusion mais qui s'apparente à une pique à son collègue de l'Exécutif en l'occurrence Boudjerra Soltani du MSP, comme chantre de la charte à l'étranger dans l'espoir de convaincre les anciens dirigeants du parti dissous établis à l'étranger à rentrer au pays. “La charte a été diffusée partout (…) et personne n'a le droit de faire le démarcheur”, a expliqué Ouyahia. Pour rappel, le leader du MSP a affirmé à des confrères que son parti a envoyé des délégations à l'étranger pour expliquer la charte et convié en termes à peine voilés les dirigeants du parti dissous à rentrer. Suppression de Star Academy : “C'est la volonté du peuple !” Autre question soulevée dans le même cadre de la charte : la proximité de sa publication avec le retour de l'adhan à la télé, de la loi qui organise les cultes hors que l'Islam et la suppression de l'émission Star Academy. S'agit-il d'une concession aux islamistes ? interroge un confrère : “Les trois religions ont vécu en Algérie depuis des siècles (…) Ce n'est pas une réponse à un discours, mais l'essentiel c'est la volonté du peuple”, a répondu Ouyahia. Sur la réintégration des “terroristes” libérés, le Chef du gouvernement a précisé que l'Etat n'allait pas laisser des gens qui avaient appelé “au djihad” reprendre leurs activités, citant l'exemple des imams. Quant aux étrangers, impliqués dans le terrorisme et qui avaient bénéficié des mesures d'application de la charte, ils seraient expulsés, a indiqué Ouyahia. Par ailleurs, il s'est opposé à la levée de l'état d'urgence. Remaniement ? : “Une frénésie qui n'est pas saine”. Comme il fallait sans doute s'y attendre, le remaniement, donné pour imminent par certains observateurs, et dont la survenue devait avoir lieu à la fin du mois en cours, a été une occasion pour Ouyahia de remettre les pendules à l'heure. Selon lui, les rumeurs ne sont qu'une frénésie dont l'origine serait les milieux d'affaires. “L'équipe fait son travail. Cette frénésie n'est pas saine. Il y a un souci d'évènements chez certains, mais le gouvernement a des objectifs. Je parle des milieux d'affaires (…) Y a ceux qui aiment la météo de l'instabilité.”Ouyahia a également démenti l'existence d'un projet de révision de la Constitution. “Elle n'est pas à l'ordre du jour des institutions”, a-t-il dit. Sur un autre registre, il a affirmé que “l'espoir est permis concernant l'augmentation des salaires” et que la visite de la délégation américaine pour la question nucléaire était destinée à “discuter”. Archs : “On se voit de temps en temps !” Mis sous le boisseau depuis le référendum sur la charte, le dialogue avec les archs n'a pas été pour autant interrompu, a révélé hier Ouyahia. “On se voit de temps à autre et régulièrement, mais sans la présence des médias.” Dans le même contexte, il a affirmé que les citoyens de Béjaïa et de Tizi Ouzou ont demandé le retour des gendarmes, et qu'à ce titre, ils seront entendus. Dans le même ordre d'idées, il a annoncé qu'un programme de 200 milliards de dinars de renforcement des moyens de la police a été adopté. Soutien au 3e mandat de Bouteflika : la pirouette. C'est sans doute la question qui a le plus incommodé Ouyahia. Interrogé par un confrère s'il allait soutenir un 3e mandat du Président, Ouyahia a préféré l'esquive, en éludant la question. Serait-il candidat pour 2009 ? “L'honneur me suffit et je remercie Dieu de servir ce pays. Honneur aussi à celui chargé des affaires publiques qui n'entre pas dans les manœuvres politiques !” Toutefois, il a annoncé que le Président sera bel et bien présent à Khartoum au Sommet arabe, en ironisant sur certains écrits parus dans la presse française sur l'état de santé du Président. Quant à l'accord passé avec la Russie, le chef de l'Exécutif a refusé de révéler la nature des produits qui seront importés en échange de l'effacement de la dette. “L'armement, ça relève de la sécurité, ce n'est pas du sucre”, a indiqué Ouyahia. KARIM KEBIR