Jeudi, devant les avocats, le chef de l'Etat a “averti que la loi sera sans clémence à l'égard de ceux qui seraient tentés de retourner à leurs méfaits”. Abdelaziz Bouteflika est bien conscient des risques qu'il prend en libérant les terroristes. Il sait aussi que cet élargissement n'est pas pour plaire aux familles des victimes qui doivent désormais cohabiter, dans la peur, avec des bourreaux arrogants et sans le moindre signe de regret, à l'image du chef de l'AIS, Madani Mezrag, Ali Benhadj, numéro 2 de l'ex-FIS, et Abdelhak Layada, cofondateur du GIA — graciés conformément aux dispositions de l'ordonnance d'application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale — qui font des déclarations intempestives ou qui laissent planer sérieusement le doute sur leur repentir “Je n'oublie absolument pas qui est responsable de la tragédie infernale. Nous soutiendrons ceux qui sont favorables à la réconciliation, mais nous ne serons jamais aux côtés de ceux qui tenteront de récidiver de manière directe ou indirecte”, rassure le locataire du palais d'El-Mouradia. Après le Chef du gouvernement, M. Ahmed Ouyahia, et le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, M. Noureddine Yazid Zerhouni, qui ont eu à s'exprimer sur la question ces derniers jours en coupant l'herbe sous le pied des nostalgiques de la décennie noire, il adresse sa propre mise en garde en direction des anciens de l'ex-FIS et des terroristes. “Je veillerai à l'application de la loi telle qu'elle a été faite. Mais j'avertis que la loi sera sans clémence à l'égard de ceux qui seraient tentés de retourner à leurs méfaits. L'islam ne se répand pas par le sabre, l'épée et le terrorisme, mais par la conviction”, prévient le Président. Cet avertissement sans équivoque a ponctué le discours qu'il a prononcé à l'ouverture de la conférence nationale des avocats, jeudi dernier, au Palais des Nations à Alger. De plaidoyer en faveur de la réconciliation nationale, son laïus a pris tantôt la forme d'un réquisitoire virulent à l'égard des prétendants à la république islamique. “Ceux qui prônent des modèles (de société ndlr) différents des nôtres et de nos besoins sont libres de les exprimer, mais n'ont pas le droit de les imposer au peuple. Ils ne représentent qu'eux-mêmes et les groupes auxquels ils appartiennent. Nous avons traduit la charte par des textes. L'impudence ne doit pas gagner ceux qui ont bénéficié de la clémence du peuple”, enjoint le chef de l'Etat. Désignant justement le peuple comme l'inspirateur et le garant de sa démarche, il note que tout ce qui a été entrepris a obtenu l'approbation des Algériens. “Je ne fais pas partie des prophètes. Par ailleurs, je ne suis pas figé dans mes pensées. Je m'inspire de mes émotions et des sentiments du peuple et de ses enfants intègres”, observe-t-il. À son avis, la charte a obtenu un oui massif, car les Algériens “sont épuisés par les massacres”. Ils sont également “las de ceux qui les pleurent et se lamentent à travers les mots et la plume”. “La paix et la sécurité sont l'affaire de tous. Aidez-moi si j'ai raison et si j'ai tort, combattez-moi”, demande le premier magistrat du pays. Le peuple, selon lui, a adopté le projet de la charte compte tenu des “résultats encourageants de la concorde civile”. “Or, ces résultats n'étaient pas suffisants dans un pays qui panse encore ses plaies et prétend à un avenir meilleur. L'ordonnance portant application de la charte vient régler de manière globale et définitive les effets de la tragédie”, explique-t-il. Les chemins vers le salut et plus concrètement la cohésion sociale sont incontournables aux yeux du président Bouteflika. Ils passent par le règlement de la situation des repentis et par la prise en charge morale et matérielle des victimes de la tragédie. “Notre objectif est de bâtir une société cohérente et équilibrée qui allie authenticité et modernité. Notre société a toujours été modérée. Elle ne tolère pas les dérives au nom de la religion et de traditions éhontées. Il n'y a pas de place au terrorisme chez-nous”, assène-t-il. Disant abhorrer tous les extrémismes, le chef de l'Etat tranche par cette formule : “Je ne suis ni de ceux-ci, ni de ceux-là. Il n'y a rien dans notre démarche qui vise à promouvoir un courant ou une partie par rapport à un (une) autre.” Néanmoins, sa compassion va à l'endroit des victimes du terrorisme. “Je ressens ce que ressent chaque citoyen qui, dans la rue, croise un individu réputé pour avoir commis des actes ignobles. Car il est susceptible de rouvrir les plaies. Et je suis de ceux qui ont mal. Mais au terme d'une profonde réflexion, je suis parvenu à penser que la solution n'est pas dans l'éradication. C'est une arme parmi d'autres qui est utilisée dans des circonstances particulières. Mais il faut des réformes politiques et économiques”, insiste l'invité des robes noires. Dans une ultime tentative de convaincre les récalcitrants, il assure que l'Algérie est sortie de son isolement alors “que par le passé, même les pays frères l'avaient abandonnée”. Face à son large auditoire, dont l'équipe gouvernementale, les deux présidents du Parlement et les représentants du corps diplomatique, il a eu ce commentaire sibyllin : “Je vois dans la salle des mines dubitatives. Je suis comme vous, mais j'ai des responsabilités et chaque responsable a le devoir de l'initiative, de relever des défis même au prix de sa vie. Je me souviens très bien que vous étiez aussi sceptiques à l'époque de la concorde civile. Mais avec l'amélioration de la situation, vous êtes devenus partisans”, conclut Abdelaziz Bouteflika. Reste à savoir à qui s'adressait son observation. Samia Lokmane