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Oran malade de sa violence
Insécurité, sentiment d'impunité, réflexe de survie…
Publié dans Liberté le 16 - 04 - 2006

“On n'arrive toujours pas à comprendre. En 1980, on traitait de 100 à 120 CBV (coups et blessures volontaires) annuellement, alors qu'aujourd'hui, il nous arrive parfois d'atteindre ce chiffre en deux jours seulement.”
Ce constat établi par le docteur Hakem, chef de service de médecine légale au centre hospitalo-universitaire d'Oran (CHUO), résume à lui seul, si tant est besoin, le climat d'insécurité qui règne dans la capitale de l'Ouest. Une réalité confortée quotidiennement par les différents faits divers, aussi sordides que sanglants, qui émaillent les chroniques judiciaires locales.
Du simple vol à la tire au meurtre prémédité, la frontière est ténue et Oran ressemble, à y regarder de plus près, à un gigantesque vase clos où la moindre étincelle risque de provoquer les plus grands drames urbains. Devenue le sujet principal de citoyens en mal de sécurité, la violence étend, implacablement, son voile hideux sur une population désemparée face à une délinquance qui tend à s'organiser davantage. Survenue jeudi dernier, vers neuf heures, l'attaque “culottée” menée par quatre hommes armés contre un bus desservant la ligne “B” fait craindre le pire et la rue n'hésite plus à parler d'une ville ouverte au grand banditisme. Ce détournement d'un véhicule de transport en commun n'est pas le premier du genre et vient s'ajouter aux deux précédents qui avaient déjà grandement choqué les Oranais. La mémoire collective garde toujours vivace l'attaque en règle par une bande de casseurs contre un autre bus assurant également la même ligne. La bijouterie cambriolée la semaine passée à Choupot, un quartier prétendument “calme”, et qui a vu son propriétaire, un sexagénaire, succomber à ses blessures, intègre la longue liste des délits et autres crimes de sang. Malgré les incessantes opérations coup-de-poing menées par les services de sécurité et la présence notable d'uniformes dans les principales artères, vitrines de la ville, la violence est devenue l'apanage de tout délinquant, sans distinction de sexe ni d'âge, qui cherche à s'émanciper du carcan social. Tout le monde se rappelle l'émergence de bandes de voyous en culottes courtes qui agressaient les passants, femmes et jeunes couples de préférence, sous l'œil indifférent de la rue. Ainsi, ce sont plus de 7 500 personnes qui ont été arrêtées, selon un bilan annuel des services de sécurité, et plus de 4 000 affaires traitées à Oran. Ces chiffres n'ont, malheureusement, pas découragé les tenants de la violence qui est passée à un stade industriel. Chaque jour, ce sont, en moyenne, une trentaine de “coups et blessures volontaires” qui sont enregistrés par le service de la médecine légale avec des pics pouvant atteindre les cents cas en tout début de semaine. Le profil type de la victime est assez difficile à cerner, mais pour le docteur Hakem, il en existe deux. La victime réelle, une personne qui se retrouve par la force des choses dans une situation de victimologie, est celle qui se confond avec son agresseur. Autant de femmes que d'hommes, dont l'âge se situe entre 18 et 30 ans, se présentent au service pour l'obtention du certificat d'inaptitude mais devant certains “dépassements”, il est dorénavant exigé aux “victimes” une réquisition établie par les services de sécurité et une lettre d'orientation des urgences médico-chirurgicales ou d'une clinique où il se serait fait soigner. Les agresseurs frappent pour blesser et immobiliser et les différentes parties corporelles visées restent les fesses et les cuisses. Cependant, il arrive que des blessures plus graves soient infligées aux victimes en cas de résistance et il n'est pas rare que le thorax ou les bras soient tailladés. Les agresseurs ont recours à des couteaux dont la lame est coupée à la base. Elle ne fait pas plus de 1,5 cm de long et reste, néanmoins, d'une efficacité redoutable.
L'école de la prison
Selon notre interlocuteur et contrairement aux idées reçues, l'alcool n'entre pas directement dans les causes de cette flambée de la violence urbaine et c'est plutôt du côté de la prolifération des psychotropes et de la drogue qu'il faut chercher les véritables raisons de cette explosion. La professionnalisation de la violence, l'école carcérale sont autant de facteurs favorisant ce nouveau genre de “terrorisme”. Mais les causes dites “classiques”, le chômage, la précarité, l'analphabétisme ne sont pas pour autant à exclure. La carte géographique de la violence ne se limite plus à quelques quartiers clichés de la ville et ce ne sont plus les coins réputés “chauds” de la cité où l'on risque de se faire agresser en plein jour. Les agresseurs évoluent généralement en couple ou en groupe, rarement en solitaire, dans des endroits publics offrant plusieurs possibilités de fuite tels que les stations de bus et les endroits retirés propices aux intimités. Ils frappent tôt le matin ou au crépuscule. Avec la recrudescence des vols et agressions, les citoyens ont développé des réflexes de survie et défense aussi ingénieux qu'inutiles parfois. Ainsi, le portable vibre plus qu'il ne sonne, les bijoux sont remisés dans les tiroirs et des bombes lacrymogènes fleurissent un peu partout dans les sacs à main.
Mourad, chauffeur de taxi, avoue ne plus prendre n'importe qui en course. “Le délit de faciès y est pour beaucoup dans le choix de mes clients et je préfère prendre les femmes que les hommes, un client plutôt qu'un groupe, et pas question de travailler le soir tombé”, dira-t-il. Salim, un fêtard invétéré, dit sa crainte au sortir des bars :
“Il n'y a plus aucune sécurité dans les rues et les voyous ne se gênent plus pour vous larder de coups de couteau afin de vous prendre votre portefeuille ou téléphone.” Des victimes racontent le sadisme de ces agresseurs qui ont répandu leur sang gratuitement sans qu'il y ait résistance. Mahmoud, la cinquantaine bien entamée, soutient mordicus que la racine du mal trouve ses origines dans ces élargissements épisodiques de prisonniers. “On les engraisse, on les loge et puis on les relâche dans la nature plus frais que jamais. La prison est devenue un lieu de repos pour ces voyous”, finit-il par lâcher. Oran vit au rythme de la violence conjuguée à toutes les sauces. Le bouche à oreille amplifie les simples faits divers et une légende sournoise, insidieuse commence à entourer cette insécurité que l'on chuchote éternelle.
SAID OUSSAD


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