Les rapports entre la France et l'Algérie semblent ne plus pouvoir sortir de la spirale des conflits, en permanence régénérés par les rancœurs d'un passé commun peu commun. La visite d'Etat du président français, Jacques Chirac, en mars 2003 devait augurer de la refondation des relations diplomatiques entre les deux nations sur la base d'un traité d'amitié et aussi d'une relance significative des échanges économiques. C'est ce qui a été du moins consigné dans la Déclaration d'Alger, paraphée par les deux chefs d'Etat. La loi du 23 février 2005, qui fait mention “des aspects positifs de la colonisation française en Afrique du Nord et dans les territoires d'outre-mer” dans son article 4, a compromis sérieusement le processus de rapprochement politique et économique entre Alger et Paris, en montrant une France sans remords quant à ses faits de guerre peu glorieux. Pour nouer une “amitié” profonde et durable avec la France, l'Algérie exige une reconnaissance de la part de cette dernière “du rôle négatif qu'elle a joué durant les 132 ans de colonisation” et surtout qu'elle abandonne, entre autres, le régime d'exception qu'elle destine aux Algériens demandeurs de visas. En définitive, l'histoire commune, qui plaçait la France en pole position des partenaires économiques et politiques de l'Algérie, serait-elle à l'origine de la crise diplomatique qui pointe aujourd'hui ? Il est loisible de le croire en se rendant compte que même la diplomatie souterraine n'a pas réussi là où la voie officielle a échoué. Des sources sûres affirment que le conseiller attitré du chef de l'Etat en politique extérieure, Abdelatif Rahal en l'occurrence, séjourne à Paris depuis vendredi dernier, dans une ultime tentative de ressouder les liens entre les deux nations et sauver peut-être le traité d'amitié. Ce sont probablement les difficultés rencontrées par l'envoyé spécial de la Présidence dans l'accomplissement de sa mission qui aurait incité le chef de l'Etat à déclarer, de manière impromptue, lundi dernier, lors de sa visite de l'usine de production de l'insuline de Saidal à Constantine, que la France a commis non seulement “un génocide contre le peuple algérien, mais également un génocide contre l'identité algérienne”, dans une allusion au massacre des manifestants algériens à Sétif, Guelma et Kherrata le 8 mai 1945. En exhumant les vieux cadavres cachés de la France, le premier magistrat du pays ravive les tensions et met au placard le traité d'amitié. Ce qui n'a pas manqué de faire réagir intempestivement les milieux politiques français. Dans la cacophonie des relations bilatérales, le départ du président Bouteflika à Paris pour, officiellement, une visite médicale de contrôle a donné à ces relais politiques un bon argument de contre-attaque. D'ailleurs, Jean-Marie Le Pen a encore une fois usé de sa virulence légendaire en estimant “scandaleux que M. Bouteflika se permette de dire ça publiquement et, le lendemain, d'être chez nous pour se faire soigner, car il est chez nous aujourd'hui pour se faire soigner”. Si l'on revient sur la rétrospective des évènements, la situation paraît plus complexe. Il y a une semaine, jour pour jour, le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, avait déclaré lors de son passage au Forum de l'ENTV que “le traité d'amitié sera signé, s'il l'est un jour, lorsque les deux pays auront complètement assaini le passé”. Le chef de l'Exécutif a, évidemment, nuancé la fermeté de ses propos en évitant de réduire les relations algéro-françaises à la conclusion du fameux pacte. Ahmed Ouyahia, qui intervenait au demeurant en sa qualité de secrétaire général du RND, a certainement usé sciemment d'un ton aigre-doux pour ne pas ajouter de l'eau au moulin de la presse nationale et française qui s'étaient longuement étalées sur l'échec de la visite à Alger, quelques jours auparavant, du ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy. Tout présageait pourtant une totale réussite du déplacement du chef de la diplomatie française, qui avait pour mission nodale la redynamisation du traité d'amitié. D'autant que le Quai d'Orsay avait tenu, au préalable, à faire disparaître les causes sous-entendues de la tiédeur d'Alger à parachever le processus de signature du traité d'amitié par l'abrogation au début de l'année en cours, sur proposition du président Chirac, des dispositions litigieuses de la loi du 23 février. Effectivement, deux jours avant la venue de Philippe Douste-Blazy, son homologue algérien, Mohamed Bedjaoui, avait déclaré : “La signature du traité est toujours à l'ordre du jour et les relations devraient reprendre désormais leur cours normal.” Sur quelles questions avaient donc achoppé les discussions entre les deux ministres des Affaires étrangères, puis entre le membre du gouvernement de Villepin et le président Bouteflika ? “L'Algérie veut construire des relations avec la France basées sur la dignité”, a asséné Ahmed Ouyahia, samedi dernier, en direction des journalistes qui le harcelaient sur la question. “La loi du 23 février a révélé le fossé qui existe entre les deux pays”, a-t-il épilogué. Souhila H.