À l'heure où enfle la controverse sur le caractère génocidaire ou non de la colonisation, un nouveau livre, susceptible de fournir des explications, vient de paraître à Paris. À deux semaines de la commémoration de la tragédie du 8 Mai 1945, l'historien Jean-Louis Planche revient sur ces évènements considérés comme le point de départ de la lutte finale pour l'indépendance. Sétif 1945 : histoire d'un massacre annoncé est né du dépouillement des archives des ministères de l'Intérieur, de la Guerre, de Matignon et de multiples entretiens avec les acteurs, les témoins et les journalistes. L'auteur remonte aux premières heures de la colonisation pour tenter de comprendre ce qu'il présente comme “le plus grand massacre de l'histoire de la France contemporaine en temps de paix” et “une boucherie quotidienne” pendant huit semaines de répression. Ecoutons-le parler de la colonisation et de ses “bienfaits” dans le Constantinois : “La conquête a réduit à un tiers la part du Constantinois dans la population d'Algérie. La surmortalité liée à la guerre et à la répression pendant 40 ans est estimée à plus de 800 000 hommes. Par la violence et la durée, elle ne peut se comparer qu'à celle menée en Amérique du Nord contre les Indiens. Encore, les chiffres ne tiennent-ils pas compte des non-combattants, victimes des épidémies et d'une disette rendue bientôt endémique par le séquestre des 400 000 hectares des meilleures terres. La colonisation française peut désormais prospérer. Au contraire de l'anglo-saxonne, elle a horreur du vide (...) Elle a besoin de forces. Elle fait venir des pauvres de tous les rivages chrétiens de la Méditerranée, Espagnols, Italiens, Cévennols, Corses et Provençaux, surtout Maltais. Pour les fixer, la France leur cède à bas prix les 400 000 hectares de terres séquestrées, leur construit des villes, des villages, des routes, des ports, leur amène des gendarmes, des instituteurs. Nulle part, elle n'a œuvré aussi vite. En quelques décennies, elle leur apprend à se détourner du Corse, de l'Espagnol, du Maltais ou du Sicilien qui survit en eux et les tourne vers elle. L'apprentissage se fait en urgence. Appuyé par les villes, il est accéléré par la conscience des Européens qu'ils sont un petit nombre (...) Autour de Sétif comme de Guelma, les Européens ont acquis la terre à prix dérisoire ou par “cadeaux” imposés aux tribus, par expropriation ou par séquestre”. Tout cela va donner naissance à “une aristocratie ostentatoire et brutale, forte de quelques dizaines de grands colons”, qui se partagent le pouvoir à Sétif, alors qu'à Guelma, il se concentre entre les mains d'une seule famille originaire d'Alsace. Dans les montagnes du Constantinois, une politique de désintégration des tribus et l'armée va brûler terres et villages. Ce qui provoquera une famine faisant 200 000 morts en 1867 et 1868. C'est l'année de la prorogation du Code de l'indigénat que le sénateur Victor Schoelcher qualifie, lors des débats, de “régime de l'esclavage”. Tel est le contexte colonial avant le 8 mai 1945 où le monde célèbre la fin du nazisme et la France la libération. Les autorités coloniales ont demandé de pavoiser l'Algérie aux couleurs de la France et de ses Alliés. “Sera-t-il possible un jour pareil d'exalter la passion nationaliste des uns et de refréner celle des autres ?" À Sétif, des centaines de personnes se rassemblent devant une mosquée à l'appel des AML. Vers 8 heures, ils seront 2 000 à 3 000 à s'ébranler en cortège vers le Monument aux morts pour y déposer une gerbe de fleurs. Les mots d'ordre clament : “Libérez Messali”, “Vive la charte de l'Atlantique”, “Vive les Nations unies”, “Nous voulons être vos égaux” ou encore “À bas le colonialisme”. À la vue d'un drapeau algérien et d'une banderole clamant “Vive l'Algérie libre et indépendante”, un policier tire, tuant le porte-drapeau. Il sera imité par d'autres policiers qui vont tirer à la mitraillette et des Européens au fusil. La révolte va s'étendre et la répression se poursuivra jusqu'au 26 juin. “Plus d'un demi-siècle sera nécessaire pour établir que l'événement a été une série de massacres dont la carte correspond à celle d'une répression impitoyable. La question reste de savoir pourquoi ceux qui l'avaient compris n'ont pu arrêter la tragédie, se bornant à faire voter en 1946 une loi d'amnistie, d'application très limitée, incapable d'arrêter les exécutions ?” se demande l'auteur. * Sétif 1945 : histoire d'un massacre annoncé de Jean-Louis Planche, 280 pages. N. C.