Les soubresauts que connaît actuellement le Mouvement démocratique et social sont-ils le signe des dépassements dans l'exercice démocratique, ou augurent-ils d'une remise en cause d'un ordre établi ? Les dissensions ressenties dès 2004, à la suite de la maladie d'El-Hachemi Chérif, ne sont qu'une face de l'iceberg, puisque le problème de fond est politique. Les deux tendances, qui s'affrontent aujourd'hui, finiront-elles par trouver un terrain d'entente ? On ne saurait aborder la situation qui prévaut au sein du MDS, sans approcher, ne serait-ce que brièvement, l'itinéraire de son fondateur, El-Hachemi Chérif, ainsi que les raisons ayant motivé la création de son mouvement. Le parcours de l'ex-responsable de la direction du parti d'avant-garde socialiste (PAGS) est lié au débat sur l'orientation économique et sociale du pays et à la lutte contre l'intégrisme islamiste. Au début des années 1990, au moment de la crise qui a secoué le PAGS, l'ancien membre de l'ALN rallie le courant non issu du Parti communiste algérien (PCA) qui a choisi la voie de la modernité. En créant le mouvement Ettahadi-Tafat, El-Hachemi Chérif assume l'héritage du PAGS, mais reste intransigeant vis-à-vis de l'intégrisme islamiste, qualifié de mortel. Il était parmi les chefs politiques qui s'étaient opposés à l'époque au processus électoral et s'était même rangé, tout le long de la décennie noire, du côté des forces patriotes et démocratiques, dans leur combat contre les groupes islamistes armés et leurs soutiens : des militants d'Ettahadi, à l'image de Mohamed Sellami de haouch le Gros (Boufarik), étaient à l'origine de la création du corps des Patriotes pour la défense des populations des villages éloignés et de l'Etat national. En 1999, El-Hachemi Chérif élargit son mouvement à de nouvelles composantes de la société, en fondant le MDS, conçu comme un espace d'idées et de forces acquises à la modernité et à la démocratie. Le mouvement défendra le principe de “l'édification d'un Etat moderne” qui passerait par la “double rupture avec le système rentier et l'islamisme” et, sur le plan tactique, par le boycott des élections. Cette thèse, ayant longtemps fait l'unanimité au sein du MDS et trouvant un large écho parmi les couches moyennes notamment, va rencontrer ses contradicteurs au début des années 2000, avant de s'effriter plus tard sous les pressions des “participationnistes”. La bataille à la veille du congrès Le 2 août 2005, le leader du MDS décède à la suite d'une longue maladie, laissant un grand chantier derrière lui où la question de l'implication du mouvement au processus électoral n'est pas tranchée définitivement. “Les Patriotes et la classe politique démocratique doivent (…) réfléchir sérieusement à la question de la réappropriation des urnes confisquées par le pouvoir, pour les mettre au service de l'expression démocratique”, invitera Hocine Ali, dans une interview accordée à Liberté et publiée le 19 octobre 2005. Une année après la disparition de l'architecte du MDS, des divergences politiques, jusque-là latentes, sont apparues au grand jour. L'éjection de Hocine Ali de son poste de SG par intérim interviendra à moins de deux semaines de la tenue du congrès du MDS, alors que les documents de préparation de la rencontre nationale ont été adoptés “par consensus”, que le lieu du congrès a été retenu et que le principe de tenir un 3e congrès national dans une année a été accepté. Les deux tendances, se revendiquant du legs d'El-Hachemi Chérif, s'expriment aujourd'hui à travers le groupe du médecin généraliste Hocine Ali et celui de l'enseignant dans le secondaire Ahmed Meliani, devenu son remplaçant à partir du 21 avril dernier. Tout porte à croire que la bataille entre les deux tendances s'est accélérée à l'approche de la date du congrès. Comme les autres formations politiques, le MDS n'échappe ni aux disputes autour du leadership ni aux ambitions personnelles, auxquelles sont venus se greffer des problèmes d'ordre organique, la crainte du changement et la peur de la division et de l'implosion. Pourtant, la brouille entre les deux lignes politiques porte sur l'analyse de l'étape actuelle et les moyens devant peser dans les transformations futures. Alors que le groupe de Hocine Ali pense que le MDS “ne peut fermer la porte à une éventuelle participation, comme il ne peut trancher son concours à une quelconque élection sans connaître les tenants et les aboutissants”, en mettant en avant le recul du système rentier qui “se transforme en système despotique à caractère ultralibéral”, le second groupe continue de s'accrocher au “mot d'ordre de la double rupture”, en s'opposant à “ceux qui veulent normaliser le MDS, en lui faisant accepter l' idée de changement au niveau du pouvoir” alors que “le système est irréformable par les élections”. Tandis que les premiers considèrent que l'instauration d'un “capitalisme productif” est favorable aujourd'hui à la modernité, en invitant les militants à trancher sur “le choix entre la gauche et la droite”, les seconds soulignent que “la rente n'a jamais été aussi florissante qu'aujourd'hui”, en prévenant contre “le renforcement de l'alliance islamo-conservatrice”. Une crise salutaire au changement Le 21 avril, la majorité du bureau national, usant de méthodes “antidémocratiques”, voire “administratives”, reconduit le provisoire, sans demander préalablement au conseil national de se prononcer sur la question comme le stipulent les statuts : Meliani est nommé SG intérimaire et le congrès (le 1er après la mort d'El-Hachemi Chérif) reporté à une date inconnue. Dans un procès-verbal signé par six membres (sur les 10 qui le composent), le bureau constate “les risques d'une dérive qui mettrait en danger la ligne du MDS”, en reprochant à Hocine Ali de tourner le dos “à tout l'héritage symbolique, politique et humain du mouvement”. Les signataires du PV relèvent que la ligne stratégique du parti “n'est pas négociable” et conviennent ensuite de convoquer le conseil national, pour étudier “collectivement la nouvelle situation” et prendre “les mesures qui s'imposent”. Le 27 avril dernier, après un long débat qui a traîné des heures et après le retrait de militants de la salle, dont Hocine Ali et ses partisans, l'instance suprême du MDS entérine les décisions du bureau national, y compris le report du congrès à une date ultérieure. Récemment, Meliani indiquera à Liberté que la date de ce congrès sera fixée “incessamment” par le conseil national, en précisant qu'il se tiendra “avant la fin 2006”. Il rejettera, en outre, l'idée de “scission”, parce qu'il n'existe pas “deux directions”, selon lui, mais seulement “des militants qui ne sont pas d'accord avec les décisions”. Le MDS, imaginé comme un instrument de lutte et d'ouverture au service d'une société en mutation, ne risque-t-il pas de s'enfermer sur lui-même après la disparition de son fondateur et l'exclusion des journalistes des travaux (et des débats) du conseil national ? De l'avis de Hocine Ali, la transformation de Ettahadi en MDS est “une anticipation sur le rôle qu'il doit jouer et mis à jour par les nouvelles réalités”. Aussi, appuie-t-il, le changement est considéré comme indissociable de la raison d'être du MDS, “un rapport social, de nouvelles polarités radicales émergeant dans la société”. Pour Meliani, l'après-El-Hachemi Chérif “ne va pas être facile, en relation avec la situation dans le pays”. Ce dernier pense également que le congrès national doit refléter “l'état réel” des forces du mouvement “pour se prononcer sur la ligne de sa formation”. Il est clair que le débat a été biaisé dès le départ, en raison de l'attitude (intransigeante ?) de chacune des tendances, qui voulait avoir le dernier mot. Cette crise, venue casser un certain statu quo, devrait être en principe salutaire pour le MDS, appelé à se redéployer et à investir le terrain des luttes sociales. Hocine Ali et Meliani l'entendront-ils de cette oreille ? Hafida Ameyar