Le président de la République a prononcé un discours-fleuve dans lequel il a salué l'armée, dénoncé Ben Bella et appelé au dialogue en Kabylie. Un silence trop pesant. Puis, un discours fleuve de deux heures, riche en déclarations et en éclairages politiques. La mémorable Journée du chahid qui a eu pour cadre la capitale des Aurès, aura servi, cette année, à la réhabilitation d'un héros de la Révolution — Abane Ramdane — et l'enfoncement d'un historique, son délateur, Ahmed Ben Bella. Et pour cause, le président de la République a remis, hier, à Tébessa, les points sur les “i” en invitant, et de manière tonitruante, l'auteur des attaques contre Abane à se taire. Sans le citer, Abdelaziz Bouteflika a dénoncé “ceux qui tentent de souiller la mémoire des martyrs”. L'allusion est faite à Ben Bella à qui il martèle que nul n'a le monopole de la Révolution et que celle-ci “appartient à tout le peuple sans exception”. Plus incisif, Bouteflika parle rageusement de cet “personne qui veut enterrer tout un peuple alors qu'elle se réclame de plusieurs nationalités”. Pour avoir maintes fois déclaré qu'il était tantôt irakien, tantôt libyen mais aussi marocain, Ben Bella encaisse logiquement les foudres verbales du Président. Et le ton de Bouteflika était particulièrement acerbe à l'égard du premier Président de l'Algérie jusqu'à susciter une grosse surprise au sein de l'assistance qui l'a longuement ovationné. Le discours fortement attendu n'a finalement pas déçu. Le Président a surfé sur pratiquement toutes les questions brûlantes de l'actualité nationale. Une omission cependant : la crise du Golfe. Bouteflika, qui a pourtant plaidé pour un monde juste et pacifique, n'a pas jugé utile de lever un pan du voile qui couvre la position de l'Algérie par rapport au conflit entre les Etats-Unis et l'Irak. Voici, par ailleurs, les morceaux choisis du propos du chef de l'Etat prononcé devant les autorités locales de la wilaya de Tébessa. Ses rapports avec l'armée : Bouteflika aura longuement encensé l'Armée nationale populaire lors de son discours. A plusieurs reprises, il lançait à tue-tête : “Que vive l'armée nationale, que vive l'armée nationale et que vive l'armée nationale”. Il voulait absolument marquer les esprits par ses déclarations très favorables à l'endroit de la hiérarchie militaire, histoire de couper cours aux spéculations. Pour lui, les forces de l'ANP défendent la République algérienne, et qu'à ce titre, il faut “leur rendre hommage”. Le Président salue le courage de l'ANP qui a su “résister aux tentatives de souiller sa réputation et son rôle dans la protection de l'unité nationale, l'intégrité territoriale du pays”. Le Président balaie d'un revers de la main l'existence d'un quelconque conflit entre lui et l'armée en évoquant “les faux clivages” et “les scénarios provoqués”. “El-Djeïch maâk ya Bouteflika”, scande la foule, enthousiaste, et “vive l'armée”, rétorque, euphorique, le Président. Par ailleurs, il s'est violemment attaqué à “ces mains “louées” qui ont fabriqué des événements et distillé des mensonges à l'encontre de l'Algérie et son armée, suivant les instructions de leurs commanditaires”. Il est ici question des auteurs des livres controversés sur la crise algérienne, notamment Habib Souaïdia et le colonel Samraoui. La relance de l'UMA : Sur ce point, le Président a confirmé les commentaires de la presse sur la reprise des négociations en vue de relancer les structures de l'Union maghrébine. Bouteflika, visiblement optimiste, a déclaré que l'Algérie est disposée à renforcer ses relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée, entendre par là, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie, mais surtout le Maroc. “Nous sommes prêts plus qu'à n'importe quel moment à œuvrer en vue de redynamiser la coopération avec les pays maghrébins”, a, en effet, lancé le Président, dans un propos qui va dans le sens des dernières visites échangées par les officiels des pays de la région. La visite de Jacques Chirac : Bouteflika confirme d'abord que “mon ami” Chirac sera l'hôte de l'Algérie au début du mois de mars. Il affirme avoir perçu chez son homologue français un sentiment de vouloir tourner la page “noire” du passé et l'ouverture d'une autre fondée sur “le respect mutuel”. Une façon pour lui de démentir l'information, maladroitement diffusée par le porte-parole de l'Elysée, selon laquelle sa visite à Paris était destinée à préparer celle de Chirac à Alger. A ce titre, il exhorte le peuple algérien à accueillir convenablement son invité en faisant remarquer qu'il ne faudrait pas entretenir les rancunes liées aux pratiques de la France coloniale. “Il faut changer les mentalités”, a-t-il insisté. Crise de Kabylie : “Ayez la foi en Dieu”, c'est ainsi que le président de la République s'est adressé indirectement aux animateurs du mouvement citoyen de Kabylie qu'il invite à ne pas décliner l'offre de dialogue “comme moyen de compréhension et de règlement de la crise”. “L'Algérie a besoin de tout le monde”, a encore déclaré Bouteflika qui se désole de ce que les jeunes “détruisent le pays que les martyrs leur ont légués”. Dans un appel du pied au dialogue, le Président concède qu'“on peut diverger sur les méthodes, mais pas sur les objectifs”. Il a écorché, au passage, les partisans de l'autonomie en assénant, trois fois, que “l'Algérie est une et indivisible”. Il invite les jeunes de Kabylie à revenir au “droit chemin”. Lutte antiterroriste : Tout en réitérant son attachement à la politique de concorde civile et son pendant la concorde nationale, le chef de l'Etat affirme que la lutte contre le terrorisme se poursuivra avec “rigueur et fermeté”. Il dénonce ceux qui tuent au nom de la religion, en s'interrogeant sur la race de laquelle ils sont issus. Faux moudjahidine : Comme il fallait s'y attendre, le président de la République n'a pas raté l'occasion de la célébration de la Journée nationale du chahid pour s'exprimer sur le trafic de la mémoire collective. Sans se lancer dans les détails, Bouteflika a dénoncé “ceux qui se jouent des chiffres”. Et de tempêter : “Ils sont un million et demi, ni plus ni moins !” H. M.