Plus de dix ans après la fameuse cérémonie dite “Flamme de la paix” organisée à Tombouctou, au nord du Mali, et qui devait sceller définitivement la fin du conflit armé entre les rebelles touareg et l'armée régulière de ce pays, la région renoue avec la violence. Dans la matinée d'hier, pas moins de trois camps militaires ont été pris d'assaut, coup sur coup, par des hommes armés qui en ont aussitôt pris le contrôle. Il est certes trop tôt pour s'avancer sur l'avenir immédiat de la région, tant on ne peut savoir s'il s'agit là d'une relance durable des hostilités ou d'un simple coup d'éclat destiné à rappeler aux autorités du pays la nécessité de tenir les engagements pris dans le cadre des négociations qui avaient abouti aux accords de cessez-le-feu. Pour autant qu'on peut les qualifier de surprenantes, ces attaques spectaculaires n'étaient pas tout à fait imprévisibles. Il faut savoir, en effet, que la plupart des ex-rebelles touareg, qui avaient intégré l'Armée malienne après les accords de paix de mars 1996, n'avaient pas cessé, jusqu'à un passé récent, de revendiquer une attention plus accrue du gouvernement malien aux besoins de développement de la région nord. La dernière action en date, menée en signe de protestation contre le manque d'empressement des autorités à répondre aux doléances économiques des Touaregs, mais aussi aux revendications particulières des ex-rebelles, a été le retour au maquis, en février dernier, du lieutenant-colonel Hassan Fagaga, un ex-commandant rebelle touareg et de quelques hommes. Le bref retour au maquis de cet officier n'était pas une action isolée car il intervenait dans une période où de nombreuses désertions d'anciens rebelles touaregs enrôlés dans l'armée étaient enregistrées. Mais, il faut noter que les attaques d'hier n'ont été ni précédées ni suivies de déclarations d'anciens rebelles à même d'attester de manière sûre et précise la nature de leurs objectifs. De son côté, le président malien, Amadou Toumani Touré, qui a réagi rapidement aux assauts des Touaregs, semble se refuser à les inscrire dans le prolongement des revendications liées au développement de la région. Cela laisse entendre que les autorités maliennes ont déjà identifié les instigateurs de ces violences, mais aussi qu'elles connaissent parfaitement leurs objectifs. Et ce ne serait pas aller trop loin que d'affirmer que l'une des pistes que Bamako explore prioritairement est certainement “la piste libyenne”. Ces attaques, dont on sait qu'elles sont le fait d'anciens rebelles touaregs, interviennent en effet un peu plus d'un mois après la fameuse virée du Guide de la Jamahiria, le 11 avril dernier, à Tombouctou. C'est là même où avait été célébrée la “Flamme de la paix” qu'Al-Kadhafi avait alors choisi de lancer une idée à la mesure de ses lubies habituelles. À la différence qu'au lieu de faire sourire, elle a plutôt fait tressaillir… de Niamey à Alger en passant par Bamako. Créer “l'Etat du Grand-Sahara”, voilà, après “Isratine” et “les Etats-Unis d'Afrique”, la nouvelle trouvaille d'Al-Kadhafi. Elle n'avait pas fait sourire, en effet, car immédiatement après cette sortie, et étant donné la situation sécuritaire peu rassurante dans cette région, les autorités des pays qui partagent ce vaste territoire avaient, plus ou moins directement, exprimé leurs inquiétudes. On aura noté, entre autres échanges destinés à endiguer la menace, la visite à Alger du ministre nigérien de l'Intérieur, puis la réunion de la Commission algéro-malienne de sécurité. La région est connue, en effet, pour être à la fois le bastion des Touareg, le fief du MDJT (Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad) et une zone où le GSPC est particulièrement présent. Le risque d'une dérive violente qui embraserait tout le Sahel n'en devenait donc que plus grand après cette curieuse entrée en scène d'un Al-Kadhafi dont l'imprévisibilité est le seul trait de caractère que nul ne peut lui nier. Saïd Chekri