C'est sans doute la plus grande manifestation des travailleurs organisée par des syndicalistes de base depuis l'Indépendance. Ils étaient, hier, plus de 15 000 travailleurs venus de toutes les unités économiques à crier leur colère contre les compressions d'effectifs, la fermeture de leurs unités et contre la cherté de la vie. Les travailleurs, qui ont commencé à se ressembler dès 8h du matin, ont tous convergé devant le siège de la SNVI pour ensuite effectuer une marche de plusieurs kilomètres qui les conduira devant l'usine de Coca-Cola située à l'entrée de la ville de Rouiba. Arborant leurs tenues de travail et des dizaines de banderoles, les manifestants ont, tout au long de leur progression vers la ville, hurlé leur indignation et leur fureur contre les “décisions de bradage des entreprises économiques” et la paupérisation des travailleurs et de leur famille. Aux cris de “Y en a marre ya Temmar” ou “Zidounna essoumma” et autres slogans antiprivatisation, les travailleurs ont poursuivi leur marche dans une parfaite discipline jusqu'à l'entrée de la ville où tous les travailleurs se sont rassemblés pour suivre les interventions du secrétaire général de l'union locale de Rouiba et de Benmouloud du syndicat de la SNVI. M. Messoudi a d'emblée voulu couper court à certaines supputations en précisant que “cette manifestation programmée de longue date n'a aucun caractère politique et elle n'a été dictée par aucun parti ou association”. Et d'ajouter que cette marche est l'émanation de la base syndicale qui continue à subir les affres de la privatisation anarchique accompagnée d'agressions répétées de certains P-DG et responsables de SGP. “Les travailleurs en ont assez du marasme social dans lequel ils se trouvent et demandent l'augmentation des salaires comme ils exigent la mise en place d'une commission d'enquête pour déterminer les pertes subies par certaines entreprises publiques”. La foule acclame l'orateur avec des “Djeich, chaâb maâk ya Messaoudi” tout en fustigeant certains P-DG et responsables des sociétés de gestion et de participations (SGP) qualifiés de “retraités incompétents qui sucent la sueur des travailleurs”. Alors que les manifestants continuent à “exiger la tête de certains gestionnaires d'entreprise de la zone industrielle”, Messaoudi invite un travailleur de l'institut supérieur ferroviaire de Rouiba (ISFF) à se présenter à la foule pour montrer le cauchemar qu'il a subi suite à son licenciement de l'entreprise. La foule retient son souffle lorsque ce travailleur exhibe les deux pieds coupés de sa fille par manque de prise en charge et de soins. “Regardez de quoi ils sont capables nos responsables qui n'éprouvent aucun sentiment pour leurs travailleurs”, affirme un membre de l'union locale de Rouiba en tenant dans ses bras la petite âgée à peine de quatre ans. La scène a davantage exacerbé la colère des travailleurs qui ont inclus désormais “le départ du directeur de cet établissement” parmi les points figurant dans leur plate-forme de revendications. Benmouloud de la SNVI, autre leader syndicaliste de la zone industrielle, a lui menacé d'organiser une autre marche si jamais “les pouvoirs publics refusent d'augmenter les salaires et ne prennent pas les décisions qui s'imposent face aux agressions dont font l'objet les travailleurs et leurs représentants”, a-t-il soutenu. Les travailleurs se sont dispersés ensuite dans le calme et la discipline en promettant de retourner sur les lieux après la période des congés si leur plate-forme n'était pas satisfaite. Cette manifestation a le mérite de montrer le vrai visage du mouvement syndical en Algérie comme elle nous a fait découvrir une autre “race” de syndicalistes capables de peser de tout son poids pour la défense des intérêts moraux et matériels. Même si aucun membre de la centrale n'a pris part à cette démonstration de force de l'UGTA, il n'empêche que, selon de nombreux observateurs, cette manifestation met Sidi-Saïd dans une position confortable en prévision des prochaines rencontres avec le gouvernement. M. T.