Ce 24 février, on célèbre la naissance de l'UGTA et les… nationalisations du pétrole. Cette date se veut toujours chargée de symboles. Les génériques de cette double commémoration n'ont pas changé. Comme si l'histoire du pays est restée figée dans le temps des années 1970. Le syndicat unique est pourtant passé et le 24 février 1971 n'est plus qu'un repère pour l'histoire de l'économie algérienne. Cependant, à y regarder de près, cet entêtement à célébrer un passé qui n'existe plus a encore du sens. Pour le pouvoir, il s'agit d'occulter le réel en magnifiant une époque révolue. Aux évolutions de la société, il répond par sa version de l'histoire dont il a fait une rente et à laquelle il demeure fermement attaché, même si celle-ci a fait l'objet de relectures tout de même plus proches du réel. Le pétrole n'est pas dénationalisé, il est offert en concessions. C'est du pareil au même, puisque le pavillon de Sonatrach ne flotte plus tout seul dans les champs d'exploitation du Sud. Bouteflika veut bien aller au bout de la logique, mais son projet de loi sur les hydrocarbures a soulevé le tollé. L'UGTA n'en veut pas, arguant que “la loi porte en elle la liquidation à terme de Sonatrach”. S'interrogeant sur ce choix d'aller à “une libéralisation complète du seul secteur économique national encore protégé”, le Forum des chefs d'entreprise préconise “une longue réflexion et un large consensus pour une vision cohérente du développement national”. L'Etat devrait pouvoir négocier avec les compagnies étrangères sur des bases fortes, estime le syndicat des investisseurs. Tous voient dans cette loi le bradage de la rente qui constitue 98% des recettes du pays. Pour l'UGTA, le 24 février est sa raison d'être. Son fonds de commerce qu'elle assume pleinement pour garder l'image de gardien tutélaire des intérêts de tous les travailleurs face aux nouveaux syndicats qui revendiquent leur part, mais aussi en direction des autorités politiques dont elle estime être une sorte de partenaire-aiguillon, sérieux et crédible. Même si le projet de loi sur les hydrocarbures a été retiré, l'UGTA maintient la pression. En se déclarant défenseur des intérêts nationaux, l'UGTA se glisse, de fait, dans la campagne de la prochaine élection présidentielle. Elle dresse, d'ores et déjà, ses lignes rouges pour les candidats, y compris pour Bouteflika qui, apparemment, veut un second mandat. Il reste que le 24 février rappelle que l'indépendance est également le fruit de luttes du prolétariat urbain et des cols blancs et qu'en 1956, lorsque Aïssat Idir et d'autres vieux routiers du syndicalisme, avaient fondé l'UGTA, c'était également pour préparer l'entrée du pays dans la modernité. Cette touche urbaine dans le mouvement national n'a pas sied aux affidés de l'archaïsme qui s'appliquaient (déjà) à exclure tous ceux qui seraient susceptibles de conduire l'Algérie indépendante à des changements historiques. L'UGTA sera alors au centre de stratégies politiciennes pour finir comme instrument de contrôle social. Ses impénitents militants des causes ouvrières seront tout bonnement évincés par la bonne arithmétique du parti unique, quand ce n'est pas par la répression. La Centrale syndicale sera alors domestiquée par l'Etat-providence grâce au jeu de la rétribution des ressources provenant de la rente pétrolière. Le pétrole va d'ailleurs jouer le rôle de pompier en masquant tout ce qui pouvait servir de levier à la naissance de véritables alternances. L'or noir va pervertir les revendications, les luttes et les conflits sociaux, de quelque nature que ce soit. A partir des années 1980, la gestion des contradictions sociales ne pouvant plus être assurée, le décor bascule complètement. Le pouvoir recourt alors aux autres formes de la rente : la temporisation, la fuite en avant, les promesses, la perversion, la manipulation, l'exclusion, le pourrissement et… la force. Celles-ci ont, elles aussi, fini par montrer leurs limites. Les unes après les autres. Le pays ne peut pas voguer indéfiniment, ni de transition en transition, ni d'illusion en illusion. Ce n'est pas un hasard si Abane Ramdane et la Charte de La Soummam, pour rester dans le registre de la rente historique, sont reconvoqués aujourd'hui et pas avant. D. B.