Taguemount. 9 juillet 2006. 16 heures. Le café Arkoub, quartier général de tous les supporters de Zizou, ressemble au CIP, le Centre international de presse, un jour d'élections présidentielles. Des envoyés très spéciaux ont déjà sorti l'attirail du parfait reporter de guerre : caméras, projecteurs, appareils photo, micros et tout le bataclan, alors qu'une équipe de villageois s'affaire autour d'un rétroprojecteur pour mettre en place le grand écran promis à la population à grand renfort d'affichettes placardées le long de l'unique rue du village. De nouveaux posters de Zizou et des unes de journaux ornent les murs du café. Un drapeau algérien est accroché derrière le comptoir, bien en évidence. Dehors, des gamins et des personnes âgées suivent toute cette agitation, qui contraste avec le calme habituel de la bourgade, d'un œil mi étonné, mi amusé. Mokhtar, vêtu du fameux maillot n°10 offert par Zidane, officie en chef d'orchestre et règle tous les détails du show. Amirouche, à l'aide d'un gros feutre bleu tatoue des “Zizou” à la en veux-tu, en voilà sur les bras et les visages de ses troupes de supporters. Le plus âgé de ses aficionados est sans doute Dda Mohand Adrar, 75 ans dont 50 passés en France. Cette France pour laquelle il a prié Dieu de donner la victoire pour honorer Zizou, l'enfant du pays. Sur un coin du comptoir, dans les bras de son papa, Amira est sans doute la plus jeune supportrice. Elle n'a que deux ans et sait à peine prononcer le nom aux deux syllabes magiques. Redouane, Mohamed et Imad, des Algérois pure souche, viennent d'arriver de la capitale. Spécialement pour suivre la finale au village de Zizou. Amirouche, autre préposé au feutre bleu, se charge immédiatement de les tatouer. Admis dans la tribu. L'heure avance et les journalistes continuent à arriver. Retrouvailles entre habitués des grands rendez-vous. Aidan, journaliste anglais fraîchement débarqué en Algérie, est content de l'ambiance qui règne ici. “Kabylia is beautiful.” 18 heures 30. Djamel, le frère aîné de Zizou, arrive au café. Les journalistes se précipitent sur lui pour lui arracher une déclaration. “Je suis triste que cela soit le dernier match de Zizou”, dit-il, visiblement ému. 18 heures 40. L'ambiance au café est monté d'un cran. Djamel prend place au dernier rang. Shakira se déhanche lascivement sur un rythme latino sans susciter la moindre réaction. La tête est ailleurs. L'apparition de Zizou sur l'écran est saluée par un tonnerre de cris et d'applaudissements. Show devant ! L'hymne italien est sifflé. Les mains battent la cadence et les cœurs la chamade. 19 heures tapantes, le match est lancé. L'ambiance monte aussi vite que la température. Henry, le gunner d'Arsenal, tombe. Djamel quitte la café en sueur. Trop d'angoisse. À la 5e minute de jeu, la France obtient un penalty. Zidane marque. C'est le délire. Au bout d'un quart d'heure de jeu, le café, surpeuplé et surchauffé, est devenu une fournaise. Tout le monde est en nage. Les Italiens égalisent à la 18'. Consternation. Dda Mohand sort. Les photographes mitraillent l'assistance sonnée. La nuit, entre temps, est tombée et on peut ouvrir les grandes portes du café sans gêner la projection sur le mur. Ouf ! Un peu d'air. Le petit café est à présent plein comme un œuf, mais il ne cesse d'accueillir de nouveaux arrivants. Il y a ce soir autant de reporters que de supporters. L'Italie domine. La France souffre. Taguemount également. Comment tenir deux heures dans ce chaudron bouillant qu'est devenu le café Zizou ? Question angoissante. La mi-temps arrive à point nommé pour permettre à tout le monde de sortir dehors pour avaler goulûment un bol d'air et lâcher son trop-plein de commentaires. Nadjim, 13 ans, tifosi de Cannavaro, est le seul à trouver son compte. 20 heures. C'est la deuxième mi-temps. Les joueurs reviennent sur le terrain et les supporters au café. La France joue mieux. Chaque action est saluée et encouragée. À la 80', Zidane chute lourdement et demande son remplacement. C'est la consternation dans la salle. Zidane revient. L'espoir aussi. L'arbitre siffle la fin du match sur un score nul. Prolongations. À la 103', tête de Zizou difficilement détournée par Buffon. C'est le délire, mais le pire est à venir. 108e minute, le ralenti est accablant. Zidane, d'un coup de tête rageur a allongé sur le gazon Materazzi qui n'arrêtait pas de le provoquer. Carton rouge. Zidane quitte le terrain. Un autre Zidane, Djamel, entre temps revenu, quitte le café. L'ambiance est retombée comme un soufflet. Quelle triste fin pour un champion de la trempe de Zizou ! Personne, y compris parmi les plus pessimistes, n'imaginait un scénario pareil. L'Italie gagne aux tirs au but. Le match est fini. Les gens sortent au dernier tir sans même attendre la remise de la coupe. Les plus courageux livrent leurs sentiments aux journalistes qui leur tendent le micro. Les autres se retirent en essuyant discrètement une larme. “Nous sommes tristes, mais fiers de Zizou malgré tout”, commente Mokhtar au coin de l'œil. La tristesse et la nuit enveloppent Taguemount d'un voile noir. Même les cris de joie d'une poignée de tifosi qui fêtent bruyamment la victoire des Italiens en chambrant les fans de Zidane n'arrivent pas à donner le change. Les Taguemountiens sont tristes, mais ils pardonnent à Zizou d'avoir raté sa sortie. Ils savent que même s'il est de nationalité française, c'est son sang bouillant d'algérien qui lui a dicté cette réaction. D. A.