En ce début du troisième millénaire et tandis qu'un nouveau monde se construit là, devant nos yeux, l'univers arabo-musulman offre imperturbablement l'image pathétique d'une coquille vide ; il donne l'apparence d'un ensemble dévitalisé où tout se passe comme s'il était sujet à un état d'hébétement psychotique ; comme si face à l'ampleur des changements planétaires en cours et aux défis majeurs qui s'amoncellent pour préfigurer le “nouvel ordre” planétaire, le monde arabe avait tout simplement opté pour le renoncement des faibles, des laissés-pour-compte. Et ce, au risque de se voir irrémédiablement expurgé du temps historique. N'est-il pas déjà et depuis longtemps exclu du jeu des influences des grands de ce monde qui décident à huis clos des conditions de son équilibre et de sa nouvelle configuration ? Mais cela, tout le monde le savait déjà. En revanche, là où cet autisme arabe devient plus inquiétant, c'est qu'à présent, il se généralise, se collectivise. Qu'y a-t-il de plus symptomatique de cette introversion pathologique que de voir les Palestiniens se faire quotidiennement massacrer dans l'indifférence générale des pays arabes et musulmans ? Qui d'entre eux s'émeut sincèrement du sort fait aujourd'hui au peuple irakien ? Nul pourtant n'ignore plus la forte teneur en pétrole du casus belli que les Américains ont imaginé à l'encontre du leader irakien. Au prétexte d'une nouvelle vision du monde (vision qui est à la fois manichéenne et forcément paranoïde), un pays déjà exsangue risque d'être tout simplement détruit. Au nom d'une démocratie en dents de scie. D'une perversion inexorable des valeurs humaines. Qu'on ne se méprenne surtout pas sur le caractère parfaitement contingent des évènements qui font l'histoire du monde : le moment venu, il suffira à ceux que l'on surnomme les “coalisés” de décréter qu'Alger où les manifestations de soutien à Abrika autant qu'à l'Irak sont de facto interdites, ou que Tunis où elles furent récemment réprimées participent à “l'axe du mal” (euphémisme cher à l'Oncle Sam), pour voir de nouveau la dyade anglo-américaine redoubler d'ingéniosité pour imaginer le meilleur moyen de réduire ce nouveau foyer du “terrorisme international”. En attendant que cette conjecture se vérifie nécessairement à nos dépens, n'est-il pas déjà assez injurieux pour la “fierté arabe” (ou du mois ce qu'il en reste) que ce soit précisément une partie de ceux que l'on nomme les “croisés” qui ont eu la sagacité de faire bloc contre les Etats-Unis d'Amérique en s'opposant (pour un temps) à la guerre contre l'Irak ? Le dernier Conseil de sécurité des Nations unies aura permis au moins aux Français, aux Allemands et aux Russes d'administrer aux Etats arabes une véritable leçon de justice et de démocratie internationales : l'affirmation que la prévalence du droit sur toute autre considération politique, culturelle ou religieuse, aura même servi de cours inaugural à une didactique inédite sur le droit international. Et bien que ce débat promette pour les semaines à venir des rebondissements multiples, l'histoire retiendra tout de même que le recul des Américains doit moins à la force qu'à leur respect formel des catégories logiques que bon gré, mal gré, ils partagent avec le reste du monde occidental. Le coup est, certes, rude, mais les règles manifestes du jeu démocratique sont sauves ! S'éveillant sur le tard de sa torpeur habituelle et, dans un réflexe parfaitement simiesque, voilà que la Ligue arabe se résout enfin à convoquer un sommet d'urgence. Décidément, le ridicule ne tue plus ! Car enfin, que reste-il réellement de l'urgence lorsqu'on sait que les jeux sont déjà faits ? Que la boucle est déjà bouclée ? L'inamovible Kadhafi a beau être régulièrement tourné en dérision, n'a-t-il pas eu raison dans sa grande agressivité de choisir le camp de la sagesse en claquant la porte de cette organisation repue et étale ? N. T. T.